Je n'ai pu, monsieur, vous remercier plus tôt des choses agréables que vous avez eu la bonté de m'envoyer.
J'ai gardé pendant six semaines ma nièce, qui a été entre la vie & la mort. Ce n'est que d'aujourd'hui que je puis vous témoigner ma reconnaissance.
Je dois vous dire que je suis point le chevalier de Morton. J'ignore quel est l'auteur de la pièce très indiscrète & très inégale que ce prétendu chevalier a écrite à m. de Tressan. J'ai été très affligé que m. de Tressan me l'ait attribuée, & qu'il ait eu la faiblesse d'y répondre. Il devait bien sentir qu'il était impossible que je lui eusse parlé des petits soupers d'Epicure Stanislas, qui n'a jamais soupé, & qui ne ressemblait point du tout à Epicure. Il devait sentir, par beaucoup d'autres raisons, le tort qu'il a eu de se donner ainsi en spectacle au public. Je lui en ai fait des reproches d'autant plus vifs, que je lui suis attaché depuis longtemps.
Quand on fait imprimer de pareilles pièces de poésie, il faut que tous les vers soient bons; & quand on les fait sur de pareils sujets, il ne faut pas les faire imprimer. Le chagrin que cette méprise ridicule me cause, ne me permet pas de vous en dire davantage.
J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très-humble, &c.
Voltaire
Au château de Ferney, le 26 avril 1775