7e 9bre 1774
En lisant votre lettre du 30e 8bre mon cher ange, je suis prêt de voler vers vous, mais donnez moi des ailes.
Mes plus fortes chaînes sont celles qui me retiennent dans mon lit où je ne dors point. Je suis près de ma salle à manger où je ne mange point. Je vois mon jardin où je ne me promène point. J'ai autour de moi des sociétés dont je ne jouis point. J'ai la passion la plus forte de venir au coin de votre feu, et ce n'est qu'une passion très malheureuse.
Je suis pénétré de tout ce que vous daignez faire pour mon jeune homme. Son souverain m'écrit, qu'il l'a recommandé à son ministre et je compte sur vous plus que sur tous les ministres du monde. J'écrirai bien certainement à mad. la duchesse D'Anville et à mad. du Deffant. Heureusement rien ne presse encore. Nous aurons tout le temps de nous déterminer ou à demander une grâce, ce qui me paraît très triste et très honteux, ou à soutenir le procès, ce qui me paraît noble et convenable. Linguet, qui dans cette affaire donna un mémoire pour plusieurs accusés, pourrait être consulté, mais il s'est brouillé bien indiscrètement avec m. d'Alembert. Mon neveu d'Hornoy n'est que médiocrement au fait de la procédure. J'en ai une entre les mains mais j'ignore si elle est complète. Tout ce que je sais bien certainement c'est qu'il n'y a qu'un seul témoin d'un délit un peu grave; que ce témoin n'est pas oculaire; que ce témoin était un enfant intimidé que son enfance même a fait mettre hors de cour. Linguet qui est du pays pourrait seul donner des indications. Est il encore avocat? reprendra-t-il cette profession sous l'ancien parlement? Attendons, encore une fois, mais on meurt à force d'attendre.
S'il s'agissait des Sirven, des Calas, des Montbailli, je paraîtrais bien hardiment, je soulèverais le ciel et la terre; mais ici, le ciel et la terre seraient contre moi. Je dois me taire; je dois travailler fortement, et me cacher soigneusement.
Je suppose que cette affaire irait aux chambres assemblées, attendu que votre protégé est gentilhomme. Je suppose encore qu'il faudrait des lettres d'attribution du garde des sceaux au parlement, pour ne point passer par la juridiction d'une petite ville subalterne, remplie d'animosité, de haines de familles, de supersition, et surtout d'ignorance.
Je suppose encore que ces lettres d'attribution ne seraient pas difficiles à obtenir puisque l'affaire a été jugée en dernier ressort par le parlement, et qu'il ne s'agit que de purger une contumace à ce parlement même. Mais il s'agit de purger cette contumace après le temps prescrit par les ordonnances et c'est sur quoi il faut des lettres du grand sceau.
Toutes les affaires sont épineuses, et celle-ci plus qu'une autre. Je demande à la nature un peu de force pour ne pas succomber dans le travail que cette entreprise m'imposera. Mon repos est troublé par plus d'un orage, comme ma santé est exterminée par plus d'une maladie.
Je me mets à l'ombre de vos ailes mes divins anges, désespéré de n'y être que de loin. Je peux mourir à la peine, mes derniers sentiments seront pour vous.