1774-10-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Joseph, prince de Ligne.

Monsieur Le Prince,

Le mourant de Ferney n'a pu faire sa cour comme il aurait voulu à Madame la comtesse de Merode.
Il a même été privé de l'honneur d'assister à son souper et à sa toilette. Voilà ce que c'est que d'avoir quatre-vingts ans. Si quelque chose pouvait me consoler dans mon triste état, ce serait le joli ouvrage dont vous m'avez honoré. Il est fait par un homme plein d'esprit et de goût. Il a prèsque ranimé mon ancienne passion pour un art dont j'ai été si longtemps idolâtre. J'ai été charmé d'y retrouver le mot achêve de La Mothe. J'étais à côté de lui à la première représentation de la pièce; il ne s'en était point déclaré l'auteur, je lui dis à ce mot: Il n'y a plus de secret, elle est de vous.

Je crois avoir deviné demême à plusieurs traits l'auteur des Lettres à Eugénie.

Je viens de lire la Lettre au Prince de Liechtenstein. Je ne connais rien du tout à l'art des généraux de l'Empire. J'aimais mieux autrefois celle de Madlle Gossin. Mais cette Lettre me paraît un chef d'œuvre en son genre. Je souhaite que de longtemps vous ne soiez à portée d'exercer un art si fatal & que vous louez si bien.

Agréez, Monsieur Le Prince, avec vôtre bonté ordinaire, le respect infini du vieux malade

V.