1741-04-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.
O vous qui cultivez les vertus du vrai sage,
L'amour des arts, et l'amitié,
Vous dont la charmante moitié
Augmente encor vos goûts puisqu'elle les partage.
De mon esprit lassé qu'énervoit sa langueur
Vous avez ranimé la verve dégoutée;
Vous rallumez dans moy ce feu de Prometée
Dont la froide phisique avoit éteint l'ardeur.
Ranimez donc Paris où les baux arts gémissent,
Sans récompense, et sans appuy.
Qu'on pense comme vous; j'y revole aujourduy.
Mais de la France hélas les jours heureux finissent.
Apollon négligé fuit en d'autres climats.
De nos maitres en vain j'avois suivi les pas,
En vain par une heureuse et pénible industrie,
J'ay d'un poème épique enrichi ma patrie.
Hélas quand je courois la carrière des arts
La détestable envie aux farouches regards,
La persécution m'acabla de ses armes,
Sur mes lauriers flétris je répandis des larmes,
Je maudits mes travaux, et mon siècle, et les arts,
Je fuyois une gloire ou funeste ou frivole,
Qui trompe ses adorateurs.
Mais vous me rengagez, un amy me console
Des jaloux, des bigots et des persécuteurs.

C'est vous mon cher ange gardien qui m'encourageâtes, à donner Alzire; c'est vous qui avez corrigé Mahomet, et je ne veux que vos conseils et votre suffrage. Il n'y a plus moyen de la faire jouer à Paris après le départ des Dufrêne mais j'ay voulu aumoins essayer quel effet il feroit sur le téâtre. J'ay à Lile des parents. Lanoue y a établi une trouppe assez passable, il est bon acteur, il ne luy manque que la figure. Je luy ay confié ma pièce comme à un hônnete homme dont je connois la probité; il ne soufrira pas qu'on en tire une seule copie. Enfin c'est un plaisir que j'ay voulu donner à madame du Chastelet et que je voudrois bien que vous pussiez partager. On dira que je ne suis plus qu'un auteur de province, mais j'aime encor mieux juger moy même de l'effet que fera cet ouvrage dans une ville où je n'ay point de cabale à craindre que d'essuyer encor les orages de Paris. J'ay corrigé la pièce avec baucoup de soin, j'ay suivi tous vos conseils. Je vous enverroy une copie correcte par la première occasion. La représentation m'éclairera encore et me rendra plus sévère. C'est une répétition que je fais faire en province pour donner la pièce à Paris quand vous le jugerez à propos. Ce sont vos troupes que j'exerce sur la frontière.

Mais commencez par guérir vos yeux et la fièvre de madame d'Argental. Soyez sûr que quoy qu'auteur, j'aime mieux votre santé que mon ouvrage.

Je ne sçai qui a pu faire courir le bruit que j'étois brouillé avec le roy de Prusse. On l'a même imprimé. La chose n'en est pas moins fausse. S'il m'avoit retiré ses bontez, il seroit vraisemblable que le tort seroit de son côté, car quand on se brouille avec un roy, il est à croire que le roy a tort. Mais je ne veux pas laisser à mes ennemis le plaisir de croire que le roy de Prusse ait ce tort là avec moy. Il me fait l'honneur de m'écrire aussi souvent qu'autrefois et avec la même bonté. Il est vray qu'il a été un peu piqué que je l'aye quitté trop tôt. Mais le motif de mon départ de Berlin a dû augmenter son estime pour moy. Il n'a jamais compté que je pusse quitter madame du Chastelet, il me connoit trop, il sait quels droits a l'amitié; et il les respecte. J'avoue que j'aurois à Berlin un peu plus de considération qu'à Paris, mais, il n'y a pour moy ny Paris ny Berlin, il n'y a que les lieux qu'habite votre amie, si je pouvois vivre entre elle et vous je n'aurois rien à désirer.

Elle répond à mr de Mairan. Cette guerre n'est pas susceptible d'esprit. Cependant elle y en a mis en dépit du sujet, elle y a joint de la politesse car on porte son caractère partout. Elle fait mille compliments aux anges.