1769-05-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Joseph, prince de Ligne.

Vous daignez quelquefois, Monsieur Le Prince, ranimer un vieillard malade par vos bontés.
Quoique je sois mort au monde vôtre souvenir ne m'en est pas moins précieux. Vous jouïssez àprésent des plaisirs de Paris, et vous les faittes. Mais je suis persuadé qu'au milieu de ces plaisirs vous goûtez la noble satisfaction de voir le règne de la raison qui s'avance par tout à grands pas. Ferdinand second n'aurait jamais osé proscrire la Bulle in cœnâ domini. Il y aura enfin des philosophes à Vienne, et même à Bruxelles. Les hommes apprendront à penser, et vous ne contribuerez pas peu à cette œuvre. On substitue déjà, prèsque par tout, la religion au fanatisme. Les bûchers de l'inquisition sont éteints en Espagne et en Portugal. Les prêtres aprennent enfin qu'ils doivent prier Dieu pour les laïques, et non pas les tiranniser. On n'aurait jamais osé imaginer cette révolution il y a cinquante ans. Elle console ma vieillesse que vous égaiez par vôtre très aimable Lettre.

Agréez, Monsieur Le Prince, avec vôtre bonté ordinaire, le respect et l'attachement du solitaire

V.