28e 7bre 1774, à Ferney
Je vous remercie de tout mon cœur, Monsieur, de la petite extrême-onction que vous avez eu la bonté de me donner, et je suis bien honteux des peines que vous avez daigné prendre.
Mr de st Tropez n'aura pas longtemps à porter le fardeau dont il est chargé. J'ai un pouls fort mauvais, mais mon cœur ne l'est pas, il est plein de reconnaissance pour vous. Si par hazard je vivais encor un ou deux ans, ce que je n'espère guères, je voudrais venir à Marseille vous dire combien je vous suis obligé.
On a dit dans le monde qu'un homme très riche, ami de Mr De Laharpe qui est pauvre, aiant vu son discours sur Lafontaine, et ne doutant pas qu'il ne remportât le prix, avait envoié deux mille livres à nôtre académie de Marseille par un rafinement de générosité, et que par l'évênement il a donné deux mille francs à Mr de Champfort aulieu de les donner à Laharpe.
L'un et l'autre ont beaucoup d'esprit et d'éloquence. Ils font honneur aux lettres. L'ouvrage de Champfort doit être excellent puis qu'il l'a emporté sur celui de Laharpe qui est très bon. Marseille fait revivre aujourd'hui le temps où les Romains venaient étudier chez elle. Il ne nous manque que d'être Romains.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec une extrême reconnaissance, Vôtre très humble et très obéissant serviteur et confrère
Voltaire
J'aprends dans ce moment que c'est Mr le comte de Schouvallof, chambellan de L'Impératrice de Russie, qui a donné les deux mille francs.