Montpellier 28 janvier 1774
Voici notre très cher oncle encore quelques pièces relatives à l'affaire de mr de Belleval, c'est une lettre à moy de Mde du Mesniel, une lettre de mde l'abbesse et une troisième de mr Douville dont le fils ainsi qu'un de ceux de Mr de Belleval se trouvoit compromis dans l'horrible catastrophe de l'innocent et malheureux chevalier de Labar; cette lettre de mr Douville vous donnera un peu de peine a lire, car il écrit encor plus mal que moy.
Je vous supplie cependant d'en prendre le soin et nous vous conjurons le serin et moy de rendre à cette famille affligée par l'article justice tous les services qui dépendront de vous. Un de mes amis me disait ces jours passés que vous étiés le dispensateur de la gloire de vos contemporains, l'appréciateur de leur mérite, c'est donc vous seul qui pouvés effacer une tache inefaçable par tout autre; vous fairés un acte d'humanité et même de justice. Il est donc inutile que je vous répette la tendre amitié qu'avait pour mme Dumesniel votre malheureuse niepce et tous les services qu'elle me rendit au temps de mon malheur.
Rien n'est changé depuis ma dernière sur l'état du pauvre serin, le dévoyment qui a si fort affaiblie et maigri cette chère malade a cessé mais il revient quelquefois et suspend les remèdes dont nous devrions uzer. Cependant son appétit se soutient et son someil serait bon s'il n'était interrompu par la toux. La dernière nuit a été fort bonne, et nous allons essayer aujourd'huy de faire une petite promenade en carosse. C'est la première fois depuis que nous somes ici, nous espérons que cet exercice rétablira les forces et contribuera à arrester tout à fait le dévoyment. Ce qui nous console et nous encourage fort c'est que les médecins que nous voyons ne sont point des charlatans, ils ne fixent point le temps de la guérison parfaite, mais ils nous promettent de nous renvoyer au printemps, et la maladie bien examinée, bien connue par eux, ils seront, disent ils aussi en état de diriger la malade de loin que si elle était sous leurs yeux; voilà le langage de l'honetteté et de la capacité, voilà le pis, car il est très possible que nous arrivions au petit Ferney notre chère malade rétablie.
Mde de Sauvigni nous a envoyés tous les mémoires sur l'affaire de Mde de Goeman excepté le premier de M. de Beaumarchais, auquel nous avons grand regret. Ses deux derniers nous ont fait pâmer de rire, et nous ne concevons pas comment mrs les comissaires ont pu conserver leur gravité aux conversations du recolement. Mde Sauvigni parle douloureusement de cette affaire, sans nous en apprendre la suite, que nous voudrions bien savoir. On m'a assuré que Beaumarchais et Bertrand s'étaient battus et que ce dernier avait reçu un coup d'épée dans la cuisse, ce qui dit on a surpris tout Paris, Beaumarchais ne passant pas pour brave et Bertrand ayant remporté plusieurs prix dans les sales d'armes, mais un fleuret et une épée sons deux choses très différentes. Je vais renvoyer tous ces mémoires à Mde de Sauvigni, mais ce que je ne luy renverrai pas, c'est sa lettre, une phrase qu'elle contient nous la rend trop chère. J'ai reçeu nous dit elle depuis quelque temps plusieurs lettres de Monsieur de Voltaire, dans lesquelles il me parle en père tendre de vous deux. Vous ne vous contentés pas notre cher oncle de nous aimer, de nous le dire, vous avés la bonté de l'apprendre à nos amis communs. Cette nouvelle assurance de vos sentiments aussi glorieuse que chère à nos coeurs, a fait éprouver au cher serin une joie vive, tendre, pure, qui a augmenté celle que j'ay moy même ressentie. En vérité notre aimable oncle nous serions bien en peine de dire quel est en nous le sentiment le plus vif le plus fort, celuy de l'admiration, ou celuy de la tendresse. Quand pourrons nous vous le dire nous même?
Je reçois dans ce moment mon très cher oncle la dernière que vous avés eu la bonté de m'écrire le 22. Les papiers cy joints répondront à la lettre de mr d'Etalonde, lequel Detalonde vous écrit sans doute sur les premiers bruits qui coururent au commencement de cette cruelle et odieuse affaire, qui véritablement chargeait un peu m. de Belleval attendu une querelle qu'il avait eue avec le cher de Labarre. D'Etalonde n'a rien sçeu depuis, il part de son premier mouvement. J'espère que la lettre de m. Detalonde ne nuira pas à messire de Belleval, lequel malgré sa charge est véritablement gentilhomme.
M. de la Mure ici présent vous remercie de la bonne opinion que vous avés de luy. Il faira son possible pour vous rendre votre serin en bonne santé. Bon jour notre aimable oncle, nos premiers voeux sont pour la durée de vos jours, ils nous sont si chers, les secondes sont pour nous.