1774-02-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Philippe Antoine de Claris, marquis de Florian.

Mon cher ami, il y a longtemps que je ne vous ai écrit, et que je n’ai reçu de vos nouvelles.
J’ai été si malingre, si faible, si misérable sur la fin de cet hiver, selon ma coutume, qu’en vérité je n’existais pas. Je ne m’en occupais pas moins de l’état de votre serin, et je m’attendais chaque poste que vous m’en diriez des nouvelles. L’inquiétude s’est jointe à tous mes maux: je vous demande de mon lit, si elle sort du sien, si elle se promène, si elle digère, si vous jouissez tous deux d’un beau soleil? Mon dieu que cette vie a d’amertumes, de dangers, de malheurs de toute espèce, et que tout cela s’oublie vite quand on se porte bien!

Je m’imagine que vous savez à Montpellier plus de nouvelles de Paris que nous autres solitaires de Ferney. Vous avez plus de monde autour de vous. J’ai pourtant eu le quatrième mémoire de Beaumarchais; j’en suis encore tout ému. Jamais rien ne m’a fait plus d’impression; il n’y a point de comédie plus plaisante, point de tragédie plus attendrissante, point d’histoire mieux contée, et surtout plus d’affaires épineuses mieux éclaircies. Goësman y est traîné dans la boue, mais Marin y est beaucoup plus enfoncé; et je vous dirai bien de choses de ce Marin, quand nous nous verrons.

Toute la famille d’Etallonde est certaine que Belleval est la première cause de l’affreuse catastrophe du chevalier de La Barre, mais elle dit qu’il s’est brouillé depuis avec le procureur du roi, et qu’alors il a changé d’avis. On ajoute que ses enfants sont avantageusement mariés, et qu’ils ont de la considération dans leur province. Ce sera donc pour eux qu’on rétablira la réputation du père dans la nouvelle édition qui est presque achevée. Goësman et Marin auront, dit on, plus de peine à rétablir la leur.

Adieu, mon cher ami, mandez moi, je vous prie, tout ce que fait le serin. Je ne sortirai de ma chambre que quand elle sera dans sa jolie cage du petit Ferney.

V.