Le 6 Janvr[1774]
Mon cher ami, j’ai déjà répondu à votre avant-dernière lettre, et j’ai adressé la mienne à Pézénas.
Peut-être ai je mal fait, mais vous avez sans doute donné ordre qu’on vous renvoyât à Montpellier toutes vos lettres.
Je réponds aujourd’hui, autant que je le peux, à vôtre lettre du 31 xbr. Je dis autant que je peux, car je suis très malade. J’ai chez moi, depuis quelques jours, m. d’Hermenches qui a amené avec lui mademoiselle sa fille, et une autre demoiselle qui est aussi sa fille d’une autre façon que celle qui est autorisée dans nos pays occidentaux; mon état ne m’empêche pas de les voir, mais il m’empêche de vous écrire. Je surmonte pour vous tous mes maux.
Vous ne savez pas encore l’aventure de deux jeunes dragons qui ayant fait de sérieuses réflexions sur les malheurs de cette vie, se sont tués chacun d’un coup de pistolet, le jour de Noël, dans un cabaret, à st Denis, après avoir soupé amicalement ensemble, et après avoir signé un beau mémoire très philosophique contenant les raisons qu’ils ont eues de disposer de leur personne, étant encore mineurs. On a envoyé leur mémoire au roi. Je ne les imiterai pas, quoique je sois plus en droit qu’eux de finir ma vie qui m’est à charge depuis fort longtemps. Je trouve plus honnête de savoir souffrir.
Je vous ai dit ce que je pensais sur le médecin des urines et sur ses maudites fioles rouges. Il est absurde qu’on sache ce qu’un cuisinier nous sert à souper, et qu’on ne sache pas ce qu’un prétendu médecin nous sert quand nous sommes malades. Cet excès d’impertinence et d’insolence allemande, n’est pas tolérable, et je n’y pense point sans être en colère.
M. Lamur est un homme très sage et très savant, et plus capable que personne de vous donner de bons conseils. J’espère qu’il nous renverra notre cher serin au mois d’avril. J’espère tout du courage de ce cher serin que vous avez tant de raison d’aimer, et à qui je suis presque aussi attaché que vous même. J’espère dans son régime et dans les ressources infinies de la nature. En vérité, si je pouvais me remuer, j’irais vous voir tous deux, et je reviendrais à Ferney avec vous.
Nous recommandons m. Mallet à notre gros doyen des conseillers clercs.
Je vous embrasse tous deux bien tendrement de mes faibles bras.