1773-10-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

Le vieux malade de Ferney vous avoue, Monsieur, qu’il joint la paresse à toutes ses autres maladies.
Je ne suis pourtant pas paresseux lorsqu’il est question de lire d’aussi bons ouvrages que celui dont Monsieur Bertrand m’a gratifié.

Quant à l’énorme et ridicule fatras imprimé à Lausanne, dont j’ai envoié une vingtaine de volumes à Monsieur Bertrand, je lui demande bien pardon de la faiblesse que j’ai eu de faire cette sottise. Je ne savais pas ce que contenaient tous ces livres qu’on imprime à Lausanne et à Genêve sans m’en donner le moindre avis. Il y a mille fadaises qui ne sont pas de moi, et celles qui en sont méritent encor plus que les autres d’être jettées au feu. C’est le parti que je prends souvent quand je rencontre par hazard un de ces volumes qu’on imprime sans me consulter. Je ressemble aux vieilles catins dont on débite l’histoire amoureuse. Si elles ont eu quelques amants dans leur jeunesse on leur en donne mille.

Le vieux malade fait infiniment plus de cas des connaissances utiles de Monsieur Bertrand, et surtout de sa conversation, que de toutes les rapsodies qu’on appelle belles Lettres. Il conservera pour lui jusqu’au dernier moment de sa vie la plus sincère estime et la plus tendre amitié.

V.