à Ferney 15e 8bre 1771
Je vois, Monsieur, par vôtre Lettre du 10e 8bre que c’est de vos associés de Bâle que j’ai beaucoup à me plaindre.
Nonseulement le volume auquel le tître manque, et qui commence par les singularités de la nature, est plain de fautes absurdes; nonseulement on a eu l’inadvertence étonnante de répéter mot pour mot aux pages 166 et suivantes ce qui se trouve à la page 157 et suivantes; nonseulement on a commis d’autres fautes très graves, mais on a eu la cruauté d’insérer dans ce volume plusieurs pièces qu’on sait très bien n’être point de moi, et dont les auteurs sont assez connus.
Le dix septième volume est bien plus inexcusable. On y trouve les Evangiles apocriphes de Fabricius, traduits par le sr Bigex, et d’autres pièces qui ne peuvent être avouées par personne.
Certainement on n’aurait point défiguré ainsi cette édition inquarto si vous y aviez seul présidé. Vous n’auriez pas souffert qu’on m’eût fait un tel outrage dont vous même vous êtes la victime. Vous m’auriez consulté, vous m’auriez envoié toutes les feuilles; j’aurais pris la peine de les corriger; vous auriez fait une édition véritable et avouée de moi. Ferney est si près de Genêve que vous auriez pu avoir cette complaisance, sans vous gêner le moins du monde, et sans faire perdre un seul moment à vos ouvriers.
J’ai lieu de croire que vous avez envoié cette malheureuse édition à vôtre associé de Paris, mais il n’est pas possible que je l’avoue, et que je laisse subsister mon nom à la tête des volumes que vous m’avez envoiés. Il est de nécessité absolue que vôtre associé de Paris supprime mon nom. C’est ce que mon neveu Conseiller de grand-chambre éxigera fortement. C’est ce que je demanderai à Mr De Sartine, et même à Mr le Chancelier. Mais alors il faudrait saisir toute l’édition, ce qui vous causerait une perte considérable, et je serais au désespoir de vous faire la moindre peine à vous et à vôtre associé.
J’ai donc tout lieu d’espérer qu’il ôtera mon nom de tous ces volumes dangereux, remplis d’ouvrages qui ne m’apartiennent point, et qu’il les débitera séparément et avec prudence.
Il conviendra aussi qu’il fasse imprimer un Errata qui est absolument nécessaire. Les fautes sont trop grossières et trop nombreuses. Je pense que c’est la seule façon de réparer s’il est possible, la faute incroiable qu’on a faitte de m’imprimer sans me consulter en rien.
J’ay l’honneur d’être bien sincérement
Monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire