1771-09-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Cramer.

Vous ne pouvez, mon cher Gabriel, réparer trop tôt la méprise énorme qu’on a faitte en imprimant sous mon nom dans cette collection plus énorme encore, l’ouvrage de Mr Prost de Royer, avocat de Lyon, sur le prêt à jour ou à terme.
C’est une affaire de jurisprudence dont je ne me suis jamais mêlé, et pour comble de ridicule vous intitulez Mr Prost de Royer procureur général.

Je lis les volumes in 4. que vous m’avez envoiés. Si vous m’aviez consulté quand vous les avez imprimés, on n’y aurait pas mis tant de petites pièces qui ne sont pas de moi, et le tout aurait été imprimé plus correctement.

Je vois bien que cette édition n’a pas été faitte sous vos yeux. J’y vois des pages entières répétées. Le monologue de Hamlet qui commence par ces mots,

Demeure; il faut choisir, et passer à l’instant
De la vie à la mort, et de l’être au néant,

est répété en quatre endroits différents.

Il y a un vers oublié dans l’article d’Hudibras, et cet oubli gâte absolument tout le sens.

Il y a des vers oubliés dans les Tragédies.

Les fautes d’impression sont assez considérables; elles éxigeront des Errata et des cartons.

Mais ce qui m’embarasse et me mortifie le plus, c’est la quantité de petits ouvrages qui ont couru sous mon nom, et qui ne m’apartiennent point.

Je vois que tous vos volumes ne sont pas encor complets.

Je vous réitère encor les justes prières que je vous ai faittes de ne rien ajouter à cette collection malheureuse sans mon aveu. Plus je la lis plus je suis affligé.

A l’égard de l’impôt qu’on met sur le papier il servira à faire acheter les livres plus cher. Il y en a trop. Il fallait autrefois encourager l’imprimerie, et on veut aujourd’hui la restraindre. La lecture est l’aliment de l’âme; mais je vois que le ministère craint les indigestions.

Nb. Je vous prie instament de ne point mettre mon nom à la tête de ces cinq malheureux volumes, mais un V avec trois étoiles. C’est du moins demi mal s’il arrive malheur.

150 exemplaires en petit c’est beaucoup trop pour moy. Sept ou huit douzaines me suffiront.