3e 7bre 1773, à Ferney
Mon cher confrère, je ne doute pas que vous n'aiez instruit Mr De st Lambert de l'empressemt de messieurs les commis de la douane à vous remettre vôtre paquet au bout de trois mois.
Le proverbe, il vaut mieux tard que jamais, n'a pas été encor mieux appliqué.
Je ne connais point cette histoire des deux Indes dans laquelle vous dites qu'on a tant prodigué l'entousiasme. Y a t-il un livre nouveau intitulé l'histoire des deux Indes, ou entendez vous par là le fatras du jesuite Catrou sur L'Indoustan, et les impertinences du jesuite Lafitau sur l'Amérique?
Lally était un grand étourdi, j'en conviens, et il se peut fort bien faire qu'il ait eu tort avec vôtre officier qui se met assez mal à propos à pleurer pour si peu de chose; il ne faut pleurer que sur Lally, sur le chevalier de La Barre, sur Talonde son camarade, et sur tous ceux dont l'ancien parlement de Paris a été l'assassin pour faire croire qu'il était bon chrétien. Nous pleurerons encor, si vous voulez, sur la compagnie des Indes et sur l'état, mais mes yeux sont si vieux et si secs qu'ils n'ont plus de larmes à fournir. J'aime mieux rire tout malade que je suis, quoi qu'en dise Monsieur Tessier qui me supose de la santé parce qu'il est jeune et qu'il se porte bien. Il ne lui reste plus qu'à dire que je suis fort amusant, parce que sa société m'a très amusé et très consolé à Ferney. Mais je lui pardonne son injustice.
Adieu, mon très cher confrère, jouïssez de la vie, moi, je la suporte.
V.