1773-04-27, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher maître, mon cher ami, je répondrai à ce que vous me mandez de Catau,

Seigneur, s'il est ainsi, votre faveur est vaine.

Je doutois fort, malgré toute l'éloquence de Bertrand, qu'il obtînt d'elle la délivrance des Rats qui se sont allés jetter assez mal à propos dans sa ratière; les circonstances ne permettent peut-être pas que Catau leur donne la clé des champs, et Bertrand, tout philosophe qu'il est, est en même temps raisonnable; mais Bertrand, pouvoit au moins et devoit même s'attendre à une réponse honnête et raisonnable, & non au persiflage que vous lui transcrivez. Voilà une nouvelle note à ajouter à toutes celles que j'ai déjà sur les Cataus & compagnie. Je ne sais de qui la philosophie a le plus à se plaindre en ce moment, ou de ses vils ennemis, ou de ses soi-disant protecteurs. Je sais du moins, & j'apprends tous les jours davantage, & à mon grand regret, qu'elle doit prendre pour sa devise, ne t'attends qu'à toi seule; bien entendu que ceux qui la persiflent n'attendront non plus d'elle que la justice et la vérité. Quoi qu'il en soit, je désirerois au moins de la personne que vous appelezsingulière, et qui pourroit mériter un plus beau nom si elle le vouloit, une réponse quelconque, honnête ou non, philosophique ou Impériale, grave si elle le veut, ou plaisante si elle le peut; je la joindrai à mes deux lettres, & je mettrai au bas ces deux mots de Tacite, per amicos oppressi, qui me paroissent si bien convenir aux malheureux Philosophes.

Quant à Childebrand, je souhaite qu'il vous soit utile, & à cette condition e vous pardonnerois de l'amadouer, je vous y exhorterois même.

Qu'importe de quel bras dieu daigne se servir?

Mais j'ai peur que vous n'en soyez pour vos carresses, & que Childebrand ne se moque de vous. Il est trop vil pour oser élever sa voix dans le pays du mensonge en faveur du génie calomnié et persécuté.

Quoi qu'il en soit, mon cher ami, o & praesidium et dulce decus meum j'attends avec impatience le recueil proscrit que vous m'annoncez du bel esprit Genevois; j'y verrai la lettre sur les deux puissances, et je souhaite d'être convaincu après cette lecture que la puissance temporelle n'a rien à se reprocher. Ainsi-soit-il. Mais ce que je désire bien davantage, c'est de vous savoir en meilleure santé, & de pouvoir dire aux ennemis de la philosophie qui me demanderont de vos nouvelles, il se porte trop bien pour vous. Adieu, mon cher maitre, conservez vous & aimez moi comme je vous aime.