1773-01-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, les notes chatouilleuses ne paraîtront qu’après la pièce, du moins si on me tient parole; et encore j’empêcherai bien que ce volume un peu hasardé n’entre à Paris, ou s’il y entre il ne sera qu’entre peu de mains, et alors il n’y a aucun danger; car en fait de livres comme en fait d’amour, il n’y a de scandale que dans l’éclat.

On m’a mandé que cet Alcidonus auquel j’ai été sacrifié, est protégé par mad. la duchesse de Villeroy, qui même y a travaillé, et qui a fait faire la musique. Si la chose est ainsi, elle m’a ôté le plaisir d’être le premier à lui céder tous mes droits bien respectueusement.

Lorsque les lois de Minos, ou Asterie seront sur le point d’être représentées au jugement très incertain et souvent très fautif de la cohue du parterre, je vous informerai de la cabale qui a pris déjà ses mesures. Elle est de la plus grande violence, mais je ne veux pas prévoir les malheurs de si loin.

Je vous demande pardon de vous avoir importuné de l’embarras où était Valentin. Ses correspondants se défiaient de lui, parce qu’il n’avait point de lettre de le Jeune à leur montrer. Le Jeune a certainement tort de ne lui avoir point écrit, et de l’avoir laissé si longtemps dans l’incertitude. Il faut que ceux qui se mêlent de commerce soient exacts.

Mr le marquis de Chauvelin a eu la bonté de m’écrire; mais vous sentez qu’il ne faut pas que m. le mal de Richelieu se presse, avant que l’affaire des lois de Minos soit plaidée. Je joue gros jeu dans cette partie. Il est certain qu’il eût mieux valu ne plus jouer du tout à mon âge, et se retirer paisiblement sur son gain. Mais je vois que la passion du jeu ne se corrige guère. Une autre fois je vous en dirai davantage, puisque vous avez la bonté de vous intéresser à mes passions; mais je suis un malade entouré de gens plus malades que moi. Mad. de Florian est attaquée de la poitrine; je lui ai bâti une maison que probablement elle n’habitera guère. Il ne faut pas plus compter sur la vie que sur le succès des pièces nouvelles. Je ne compte que sur votre amitié qui fait ma consolation.