Potzdam ce 6me Décembre 1772
Vous devés le connaître mieux que personne. Pour nôtre poudre à canon, je crois qu’elle a fait plus de mal que de bien ainsi que l’Imprimerie qui ne vaut que par les bons ouvrages qu’elle répand dans le Public. Par malheur ils devienent de jour en jour plus rares. Nous avons dans nôtre voisinage une cherté de blés excessive. J’ai crû que les Suisses n’en manquaient pas, encor moins les français dont les ouvrages éclairent nos Régions ignorantes sur les premiers besoins de la nature; Je ne connais point de traités signés à Potsdam ou Berlin. Je sais qu’il s’en est fait à Petersburg, ainsi le Public trompé par les gazetiers fait souvent honneur des choses aux personnes qui y ont eu la moindre part; J’ai entendû dire de même que l’Impératrice de Russie avait éte mécontente de la manière dont le Comte Ourlon avait conduit sa négotiation de Fokzani. Il peut y avoir eu quelque rafroidissement, mais Je n’ai point apris que la disgrâce fût entière. On ment d’une maison à l’autre, à plus forte raison, des faux bruits peuvent-ils se répandre et s’acraitre, quand ils se promènent de bouche en bouche depuis Petersburg jusqu’à Fernex. Vous savés mieux que personne, que les mensonges font plus de chemin que les vérités; En attendant le grand Turc devient plus docile. Les Conférences ont été entamées de nouveau, ce qui me fait croire que la Paix se fera. Si le Contraire arrive, il est probable que monsieur Mustapha ne séjournera plus longtems en Europe. Tout cela dépend d’un nombre de causes secondes obscures et Impénétrables, des Insinuations guerières de certaines Cours, du Corps des Ulemas, du Caprice du grand Visir, de la morgue du Négotiateurs, et voilà comme le monde va, il ne se gouverne que par Compère et Commère. Quelquefois quand on a assés de données, on devine l’avenir, souvent on s’y trompe. Mais en quoi Je ne m’abuserai pas, c’est en vous prognostiquant les suffrages de la Postérité la plus reculée. Il n’y a rien de fortuit en cette Prophétie, Elle se fonde sur vos ouvrages Egaux, et quelques uns supérieurs à ceux des auteurs anciens qui jouissent encore de toute leur gloire. Vous avés le brevet d’Immortalité en poche, avec cela, il est doux de jouir et de se soutenir dans la même force malgré les Injures du tems, et la Caducité de l’âge. Faites moï donc le plaisir de vivre tant que je serai dans le monde, Je sens que J’ai besoin de vous, et ne pouvant vous entretenir, Il est encore bien agréable de vous lire. Le Philosophe de Sans Souci vous salue.
Federic