1766-06-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Balthazar Espeir de Chazel.

Je ferai bientôt, Monsieur, le même saut que Mr vôtre père. C'est la destinée de tous les êtres animés par la nature; on ne peut naître que pour mourir. On ne doit pas plus s'affliger de cesser d'être que de n'avoir pas toujours été. D'ailleurs, en quittant la vie, on quitte en vérité très peu de chose. La caducité n'est bonne à rien; un vieillard cacochime qui se plaindrait de mourir ressemblerait à un forçat qui serait fâché d'être délivré des galères. Mais j'avoue que si l'on doit regarder sa propre mort d'un œil stoïque, on peut s'attendrir sur celle des autres, et surtout sur celle d'un père. Je joins mes regrets aux vôtres; et je vous prie d'avoir pour moi l'amitié dont il m'honorait.

Votre très humble et très obéissant serviteur

V.