A Paris ce jeudi 10 avril 1760
J'ai appris hier au soir, Monsieur, que vous regardiés l'annonce des deux pièces de M. de Voltaire comme un obstacle au tems où vous désirés qu'on joue la vôtre.
Cette opinion est seurement fondée sur un mal entendû qu'il est bon d'éclaircir. Il est vray Monsieur que M. de Voltaire m'a envoyé deux tragédies, l'une nouvelle, l'autre raccomodée ou pour mieux dire refaite presqu'en entier. La première est réservée pour l'hyver, l'autre doit être jouée plustost; mais je peux vous assurer que je remplirois bien mal les intentions de l'auteur si je voulois la faire passer avant aucunne pièce receûe, et s'il sçavoit que c'est d'un ouvrage de vous dont il est question il ne feroit que se confirmer davantage dans sa façon de penser, et il seroit très éloigné de vouloir vous disputer le rang qui vous est acquis. Comme les principaux acteurs dont il a besoin ne jouent point dans votre comédie, il seroit possible d'étudier les deux pièces en même tems (bien entendû cepandant que la vôtre passeroit la première). Mais si cet arrangement peut vous retarder le moins du monde, on différera de donner les rosles jusqu'à ce que votre comédie soit entièrement preste. Je saisis avec empressement cette occasion de vous renouveller les assurances de tous les sentiments avec les quels j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
D'Argental