1755-09-01, de Charles Augustin Feriol, comte d'Argental à Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes.

J'avois compté, Monsieur, vous reporter les lettres que vous avés eû la bonté de me confier mai j'ai appris qu'on ne pouroit vous trouver que mardi matin et je suis obligé d'aller ce jour là à st Cloud pour la nôce de la belle soeur de Mr de Foncemagne.
Cepandant comme notre affaire presse je prends le parti d'avoir l'honeur de vous écrire. Permettés moy une petite discution qui vous enuiera peutêtre mais que vous pardonerés à l'intérêt que je prends à tout ce qui regarde Mr de Voltaire. Je commence par convenir que la lettre de Me Denis est peu mesurée, peu décente, folle même si vous le voulés. Je vous l'abandonne, et je prends seulement la liberté de vous représenter qu'il n'est pas juste que mr de Voltaire en soit la victime. De quoi s'agit-il? d'un vol qui luy a été fait, d'une impression faite à Paris sans aucunne permission ny expresse, ny tacite. Si un étranger vous dénonçoit ces délits vous ne pouriés vous empêcher de les punir. C'est moy qui vous les apprend (sans employer à la vérité rien qui ressemble à la voye judiciaire). J'implore votre justice pour arrêter non seulement l'édition de Paris mais toutes celles qui pouroient se faire dans le royaume et particulièrement une toute preste à paroitre à Rouen qui a fait l'objet d'un certain voiage dont j'ai eû l'honeur de vous parler et que j'attribuois à une autre cause. La voye de la négociation auroit étée infiniment plus conforme à mon inclination et je l'ai tentée. Je n'ai point été content de Prieur. Il demandoit non seulement le remboursement des 25 louis et les frais de son impression mais le remboursement du profit qu'il comptoit faire. D'ailleurs dès qu'il y a d'autres copies du manuscript on traiteroit fort inutilement. Tout ce qu'on pouroit faire par commisération pour Prieur seroit que Mr de Voltaire vous envoyât son manuscript avec des corrections, que vous prissiés la peine de l'examiner et que si vous le jugiés susceptible de l'impression Prieur en eût la préférence. Mais j'ose vous demander en attendant cette démarche de donner vos ordres pour arrêter des éditions furtives qui ne peuvent qu'augmenter la mauvaise volonté contre Mr de Voltaire et nuire à sa gloire en offrant au public des ouvrages imparfaits de tout point. Je me flatte que vous voudrés bien entrer dans mes raisons et accorder quelque chose à l'extrême intérêt que je prends à cette affaire. Ma confiance est fondée sur les marques d'amitié que vous m'avés donné dans toutes les occasions et le sincère et respectueux attachement avec le quel j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

D'Argental