à Ferney 20e 9bre 1772
Made Denis doit vous mander, monsieur, combien vous nous avez laissé de regrets.
Je me joins à elle. Je n’ose espérer que vous me fassiez le même honneur tous les ans; mais je vous avoue que je le désire avec passion. Vous verriez notre petit canton un peu augmenté et embelli. En attendant, vous me verrez sifflé à Paris; mais que cela ne vous dégoûte pas; les sifflets du parterre n’ont aucun rapport à nos avenues et à nos fontaines, à nos maisons nouvelles et aux poulets que je veux engraisser pour votre arrivée. On peut être très heureux chez soi et sifflé ailleurs. Le bonheur ne doit pas dépendre de quelques vers alexandrins bien ou mal reçus. Mais malheureusement il dépend de la santé et je n’en ai point. Je souffre avec beaucoup de patience; on dit que c’est un vertu d’âne et de saint mais c’est aussi la vertu des sages; et il faut l’être à soixante et dix neuf ans, ou du moins tâcher de l’être. Vous vous y êtes pris de meilleure heure, monsieur, mais on prétend que les ouvriers qui vinrent le soir travailler à la vigne, furent aussi bien payés que ceux qui s’y présentèrent dès le matin. C’est une parabole qui m’encourage beaucoup, et qui est fort consolante pour les paresseux.
Quoi qu’il en soit comptez que je suis extrêmement sensible à votre mérite et à l’honneur que vous m’avez fait.
J’ai celui d’être avec l’attachement le plus respectueux, monsieur, votre très humble et trés obéissant serviteur.
V.