A Paris, ce 10 janvier 1758
J'ai toujours pensé, monsieur, que le premier devoir d'un homme qui voulait se faire un nom, dans quelque genre de poésie que ce fût, était de se former sur vos ouvrages; & le second, de vous offrir ses essais. Je m'acquitte de ce dernier soin, en comptant beaucoup sur votre indulgence & sur vos avis. Jusqu'à présent les personnes que j'ai consultées m'ont toutes donné des conseils si opposés, que je ne sais quel parti prendre. L'un me reproche d'imiter trop La Fontaine, & l'autre de ne pas l'imiter assez. Celui-ci se plaint que mes morales sont trop longues, celui là, qu'elles sont trop courtes. Un troisième voudrait m'obliger à les supprimer toutes, alléguant pour raison, malgré l'exemple de tous les fabulistes, que le but d'une fable doit se faire sentir assez de soi même, pour se passer de cette espèce de commentaire que l'on appelle morale. Il y en a qui voudraient que mes fables fussent toutes aussi simples que celle de la Cigale & la fourmi, comme si un fabuliste était condamné à n'être lu que par des enfants. Cette variété d'opinions sur mon recueil m'a mis souvent dans le cas de m'appliquer la fable du Meunier, son fils & l'âne.
Vous voyez, monsieur, combien j'ai besoin d'être fixé par des avis sûrs, & dont on ne puisse appeler. Je me déciderai, monsieur, d'après les vôtres, si je vaux la peine que l'auteur de la Henriade sacrifie quelques moments à la lecture d'une cinquantaine de fables, & qu'il daigne m'écrire ce qu'il en pense. J'attends, monsieur, cette faveur de votre attention à encourager les talents naissants, & je me ferai en tout temps honneur de prendre des leçons du plus beau génie de France.
Je suis, &c.