1772-11-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, il me revient que les Fréron, les la Beaumelle et compagnie, ont fait un pacte pour faire siffler notre avocat, mais puisque vous l’avez pris sous votre protection, je me flatte que vous lui donnerez une audience favorable.

Je vous suis très obligé d’avoir fait copier les écritures de ce procès conformément à la dernière copie. J’ose croire que si les acteurs jouent avec un peu d’enthousiasme, mais sans précipitation, notre cause sera gagnée. Je dis notre cause, car vous en avez fait la vôtre.

Le frère de mad. De Sauvigni qui me sert de copiste, chose assez singulière, jure son dieu et son diable qu’il n’a donné à personne de copie de la lettre d’Horace. S’il ne me trompe point il se pourrait faire que votre secrétaire en eût laissé traîner une. Cependant, vous autres messieurs les ministres, vous avez des secrétaires fidèles et attentifs, qui ne laissent rien traîner. Après tout, il n’y a plus de remède. Il faut se consoler, et croire que ni le roi de Prusse, ni Ganganelli, ni l’abbé Grizel, ni l’avocat Marchand ne me persécuteront pour cette honnête plaisanterie. On marche toujours sur des épines dans le maudit pays du Parnasse; il faut passer sa vie à combattre. Allons donc, combattons puisque c’est mon métier.

On m’a apporté une répétition, boîte unie, avec ciselure au bord, diamants aux boutons et aux aiguilles, le tout pour dix-sept louis: j’en suis émerveillé. Si vous connaissiez quelqu’un qui fût curieux d’un si bon marché, je vous enverrais la montre avec un joli faux étui. Un tel ouvrage vaudrait cinquante louis à Londres. Ma colonie prospère et moi non. J’ai de terribles reproches à faire à mr le contrôleur général.

Le gros doyen clerc doit être présent à Paris, et certainement prendra votre affaire à cœur, il ne serait pas de la famille s’il ne vous était pas fortement attaché.

Voudriez vous avoir la bonté de m’écrire ce que vous pensez des répétitions? J’y étais autrefois assez indifférent, mais je crois que je deviens sensible; vous me rajeunissez.

A l’ombre de vos ailes.

V.