à Ferney 25e May 1772
Mon héros est Doien de nôtre délabrée académie, et moi le doien de ceux que mon héros tourne en ridicule depuis environ cinquante ans.
Le cardinal de Richelieu en usait ainsi avec Boisrobert. Il me parait que chacun a son soufre douleurs. Permettez à vôtre humble plaignant de vous dire que s'il y a des mots plaisants dans vôtre Lettre il n'y en a pas un seul d'équitable.
Premièrement, je ne suis pas assez heureux pour avoir la plus légère correspondance avec Monsieur le Duc de Duras, et s'il m'honorait de sa bonté et de sa familiarité comme vous le prétendez, vous ne le trouveriez pas mauvais. Bon sang ne peut mentir.
Je vous certifierai ensuitte que Mr D'Argental a ignoré très longtemps cette baliverne des loix de Minos; qu'elle a été lue aux Comédiens par un jeune homme, et donnée pour être l'ouvrage d'un avocat nommé Du Roncel, étant raisonnable qu'une tragédie sur les loix parût faitte par un jurisconsulte.
Puis je vous certifierai qu'il y a trois ans que je n'ai écrit à Thiriot.
Je vous dirai de plus que je voulais faire imprimer la pièce, et donner le revenant bon de l'édition à l'avocat (ainsi que j'ai donné depuis vingt ans le profit de tous mes ouvrages), que je ne voulais point du tout risquer celui cy au théâtre. Cet avocat l'avait mis entre les mains du libraire Rosset à Lyon. Le procureur général, qui a la Librairie dans son département, crut sur le titre et sur la dédicace à un ancien conseiller, que c'était une satire des nouveaux parlements et des prêtres, mais le fait est que s'il y a quelque allusion dans cette pièce c'est manifestement sur le roi de Pologne qu'elle tombe. J'ai déjà eu l'honneur de vous dire que Mr le Procureur général de Lyon envoia la pièce à M: le chancelier qui l'a gardée; et quelque extrême bonté qu'il ait pour moi je n'ai pas voulu la réclamer. Je me suis amusé seulement à corriger beaucoup la pièce, et surtout à l'écrire en français, ce qui n'est pas commun depuis plusieurs années.
Vous me demanderez peut être pourquoi je n'ai pas pris la liberté de m'adresser à vous, et d'implorer vos bontés pour Minos? C'est parce que je voulais demeurér inconnu; c'est parce que je craignais prodigieusement que vous n'exerçassiez sur vôtre humble client l'habitude enracinée où vous êtes de vous moquer de lui; c'est parce que vous n'avez jamais eu la bonté de m'instruire comment je pourais vous adresser de gros paquets; c'est parce qu'on risque de prendre très mal son tems avec un vice-roi d'Aquitaine, avec un maréchal de France entouré d'affaires et de courtisans, qui peut être tenté de jeter au feu une malheureuse pièce de théâtre qui se présente mal à propos; c'est que vous vous moquâtes de la Tragédie de Mérope; c'est qu'à soixante et dixhuit ans il est tout naturel que je ne mérite que vos siflets en vous ennuiant d'une Tragédie. Ce n'est pas que je n'aie tout bas l'insolence de la croire bonne; mais je n'oserais le présumer tout haut. D'ailleurs, à qui confierais-je mes faiblesses plutôt qu'à mon respectable doyen s'il daignait m'encourager, aulieu de me r'abêtir comme il fait toujours?
Eh bien, quand vous aurez du tems de reste, quand vous voudrez voir mon œuvre qui est fort différente de celle qu'on a lue au tripot de la comédie, dites moi donc si je dois vous l'envoier sous l'envelope de M: Le Duc D'Aiguillon ou sous la vôtre. Mais dieu merci, vous ne me dites jamais rien. Ne serait-il pas même de votre intérêt qu'on dit un jour qu'à nos âges on conservait le feu du génie?
Pour vous faire rougir de vos cruautés, tenez, voilà les cabales. Elles valent mieux que la bégueule. C'est, je crois, de mes petits morceaux détachés le moins mauvais. Tournez celà en ridicule si vous l'osez. Vous serez dumoins le seul qui vous en moquerez, car vous êtes le seul à qui je l'envoie en toute humilité.
Vous m'allez dire encor qu'il faut que j'aie une terrible santé puisque je fais tant de pauvretez à mon âge. Voilà sur quoi mon héros se trompe, toto cœlo, tota terra aberrat. Je suis plié en deux, je souffre vingt trois heures en vingt quatre, et je me tuerais si je n'avais pas la consolation de faire des sottises. J'en ferai donc tant que je vivrai, mais je vous serai attaché Monseigneur le railleur avec un aussi tendre respect que si vous applaudissiez à mes lubies.
Je me prosterne.
V.
NB. Je crois que le Comte de Morangiés n'a point touché les cent mille écus. Oserais-je vous demander ce que vous en pensez?
L'abbé Mignot est mon propre neveu, et passe pour le meilleur juge du parlement, ainsi vous gagnerez vos trois procez. Mais perdrai-je toujours le mien avec vous?