1772-02-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Joseph Panckoucke.

Comment voulez vous, Monsieur, que je puisse adopter une édition qu’on a faitte sans me consulter, qui est remplie de fautes absurdes, et dans laquelle on a inséré des ouvrages qui ne sont pas de moi?

Comment pouvez vous excuser Mr Cramer à qui j’avais donné pendant quatre ans mon château de Tourney avec quelques meubles, qui parconséquent pouvait m’envoier deux fois par jour les feuilles à corriger? Pouvez vous le disculper de ne m’avoir averti de rien, de ne m’avoir rien montré? Il était à deux portées de fusil de chez moi, et a passé six mois entiers sans me venir voir. Tout ce que je puis faire c’est de me taire, et c’est beaucoup. Vous sentez qu’on m’exposait aux assassins du chevalier de La Barre.

Je me tais de même sur les autres éditions, et je n’entre, ni ne puis entrer dans aucune de ces disputes; je passe ma vie dans mon lit, c’est mon tombeau; je me regarde comme un homme mort, dont on vend la garderobe. Baskerville de Birmingham commence une édition en Angleterre, je ne la verrai pas probablement, mais je mourai en fesant des souhaits très sincères pour le débit de la vôtre, et en pardonnant à ce gros Gabriel Cramer la manière très singulière dont il en a usé envers moi pendant quatre ans de suitte. Il se porte bien, il aime le plaisir, il a raison. Les affaires de sa ville l’ont occupé, il a raison encor, et moi j’ai grand tort d’être vieux, d’être malade et d’être inutile. Je vous jure que je ne vous en suis pas moins dévoué, que je voudrais de tout mon cœur faire quelque chose qui pût vous plaire, que j’ai pour vous une parfaitte estime, et que j’ai l’honneur d’être bien véritablement, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur

V.