23e Janv: 1769
J'avouerai à mon divin ange, qu'en fesant usage de tous les petits papiers retrouvés dans la succession de La Touche, je pense que le tout mis au net poura n'être pas inutile à la vénérable compagnie, mais permettez moi de penser encor que ces brouillons de La Touche peuvent procurer un autre avantage, celui de rendre toute persécution odieuse, et d'amener insensiblement les hommes à la tolérance.
C'était le but de ce pauvre Guimon qui n'a pas été assez connu. Il faut qu'à ce propos je prenne la liberté de vous faire part de l'effet qu'ont produit certains petits ouvrages dans Toulouse même. Voicy ce que me mande un homme en place très instruit,
‘Vous ne sauriez croire combien augmente dans cette ville le zèle des gens de bien et leur amour et leur respect pour le patriarche de la Tolérance et de la vertu. Vous savez que le colonel de mon régiment et ses majors généraux sont tous dévoués à la bonne doctrine. Ils la disséminent avec circonspection et sagesse, et j'espère que dans quelques années elle fera une grande explosion. Quant au parlement et à l'ordre des avocats prèsque tous ceux qui sont audessous de l'âge de 35 ans sont pleins de zèle et de lumière, et il ne manque pas de gens instruits parmi les personnes de condition.’
Par une autre lettre on me mande Que le parlement regarde aujourd'hui la mort de Calas comme un crime qu'il doit expier, et que Sirven ne risquerait rien à venir purger sa contumace à Toulouse. Il me semble, mon cher ange, que c'était vôtre avis. Si je peux compter sur ce qu'on m'écrit certainement j'enverrai Sirven se justifier et rentrer dans son bien.
Je suis tous les jours témoin du mal que l'intolérance de Louis XIV, ou plutôt de ses confesseurs a fait à la France. Le gain que vous ferez en prenant la Corse ne compensera pas vos pertes.
Il est bon que la persécution soit décriée jusque dans le tripot de la Comédie; mais malheureusement les assassins du chevalier de La Barre n'entendront jamais ni Le Kain, ni mlle Vestris.
Vous ne m'avez point instruit du nom des Dames qui doivent passer avant la fille du jardinier. Je crois que ce sont de hautes et puissantes dames à qui il faut faire tous les honneurs. Je ne vous dissimule pas que j'ai grande envie que la jardinière soit bien reçue à son tour. N'avez vous point quelque ami qui pût engager le Lieutenant de police à lui accorder la permission de vendre des bouquets? Il me semble qu'à présent l'odeur de ses fleurs n'est pas trop forte, et ne doit pas monter au nez d'un magistrat. Quelque chose qui arrive songez que je vous suis plus attaché qu'à ma jardinière.
Mille tendres respects aux deux anges.
V.