1772-02-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

J’ai été de toute façon très inutile à vôtre bonheur, mon cher magistrat, mais il ne m’intéresse pas moins.
Vous voiez que les sacrements ne me réussissent pas. J’avais fait une fois une communion pour me moquer d’un petit évêque, et celà n’eut pas tout le succez que j’en espérais. J’ai raté le bâtême de vôtre fille, il me reste l’extrême onction, je verrai comme je m’en tirerai.

Je vous prie de vouloir bien parmi les mille et un baisers que vous donnerez à la mère, lui en donner un pour le grand oncle. C’est dommage que nous n’aions point en nôtre langue de mot qui exprime la quatrième génération en ligne collatérale. Celle qui devait être ma comère est bizaieule, mais on ne dit point bis-grand-oncle. C’est une difficulté que je proposerai à l’académie à la première occasion.

Mon malheur en fait de sacrements s’est étendu jusques sur nôtre Languedochien. Nous avons un polisson d’Evêque in partibus sabaudianis qui laisserait plutôt périr le genre humain, que de marier un papiste avec une protestante, d’autant plus que cette protestante a encor son mari, et qu’elle n’est libre que par un divorce, lequel divorce n’est point reconnu par nos sacrés canons. Vous voiez que nos loix sont bien difficiles à concilier et qu’il y reste toujours un petit levain de barbarie qui en aigrit continuellement la pâte. J’ai fait un mémoire pour le roi, et un autre pour le Pape sur cette belle affaire. Le Roi dit qu’on n’inquiétera pas les deux conjoints s’ils se marient catholiquement selon les usages. Le Pape n’a pas encor répondu, il assemble vraisemblablement une congrégation de la propagande, car il s’agit icy de propagation, et je pense que les deux parties n’ont attendu ni la permission du Roi, ni la bénédiction du Pape. Vous voiez qu’il n’est pas aisé de faire son salut, et que le diable se glisse par tout depuis la Pologne et le Dannemark jusqu’au mont Krapac où je demeure. J’imagine que je pourai vous faire passer de quoi vous amuser les matins quand vous n’aurez rien à faire. Croiez moi, achetez une charge de philosophe épicurien. Ces épicuriens étaient assurément les hommes du monde les plus sensés. Ils laissaient aller le monde comme il va. Ils n’avaient que deux dogmes, l’amitié et les plaisirs.

J’embrasse pour vous le premier de ces dogmes, et je le suis à la lettre. A l’égard du second c’est vôtre affaire; ce n’est pas celle de mon âge.