20e janv: 1772
Je n’ai pas dit, mes chers anges, dans ma dernière Lettre tout ce que j’avais à vous dire.
Premièrement, Made Denis et Made Dupuits vous remercient de vôtre souvenir.
Secondement, j’ai toujours oublié de vous répondre sur l’extravagante et honteuse opinion de Mr Niquet; mais ce n’est pas une opinion, c’est une absurdité avancée au hazard, pour justifier une horreur, et j’ai cru qu’il suffisait de l’exposer sans la réfuter.
Troisièmement, j’écris à mon neveu le Turc; je le remercie et je le félicite d’être assez heureux pour vous avoir servi.
J’ai encor une autre chose à vous dire. On me reproche d’avoir aprouvé la destitution de l’ancien parlement, et l’érection du nouveau. Quand je n’aurais pour excuse que mon amitié pour le doien des nouveaux conseillers clercs, et la conduite vertueuse qu’il a tenue celà me suffirait.
Mais vous savez que dans une visite que me fit Mr l’avocat général Seguier au mois d’octobre 1770, il me dit que quatre conseillers au parlement le forçaient à déférer certaine histoire du parlement et à la faire brûler: ainsi donc
Il était digne de ces bourgeois tirans pires que la faction des seize de faire brûler l’histoire la plus vraie, écrite avec la plus grande modération.
Pouvais-je d’ailleurs aimer bien tendrement ceux qui avaient trempé leurs mains dans le sang innocent du chevalier de la Barre? et des Decemvirs insolents contre lesquels on ne pouvait jamais obtenir la moindre justice devaient ils être si chers à la nation?
Des amis de M: le Duc De Choiseul disent que je lui ai manqué en me déclarant pour le parlement nouveau. Mais quel raport, s’il vous plait, entre M: le Duc De Choiseul et cette troupe de bourgeois séditieux que j’ai toujours eu en horreur?
Je vous prie très instamment de tâcher de faire parvenir à M: Le Duc De Choiseul tous les sentiments de respect, d’attachement et de reconnaissance dont je suis pénétré pour lui. Vous le pouvez très aisément soit par M: le Duc De Praslin, soit par quelque autre voie sans vous compromettre. Je serai certainement dévoué à M: Le Duc de Choiseul jusqu’au dernier moment de ma vie, quand même made Du Deffant s’imaginerait que je suis ingrat. Cette idée pénêtre mon cœur sensible. J’aime M: le Duc de Choiseul autant que je hais l’ancien parlement, et je voudrais que tout le monde le sçut.
J’ai pour vous des sentiments encor plus tendres comme de raison. Il faut que les plus anciens amis soient toujours les premiers dans le cœur comme ils sont les premiers en date.
V.