2e Xbre 1771
Mon cher ange, Florian arrive, il m’aporte vôtre Lettre. Je suis bien faible, bien misérable, bien accablé de tous les horribles détails de ma Colonie qui ne conviennent guères à un vieux malade, mais je vous réponds sur le champ comme je peux, et celà article par article, comme un homme qui fait semblant d’avoir de l’ordre.
Je ne savais pas que 4 et 5 vous manquassent; vous les aurez par la première occasion, mais vous n’aurez pas sitôt ni Pélopides, ni mlle L’Enclos, ni Sophonisbe.
C’est une terrible chose qu’une Colonie. Je n’aurais pas conseillé à Sophocle d’en établir; et je suis devenu deplus si questioneur que je n’ai fait que de questions depuis deux mois.
Je répondrai à la question de vôtre ami, pourquoi les Guèbres et Sophonisbe ne sont pas dans le recueil? C’est que ces ouvrages n’étaient pas encor faits quand le marquis imprimait mes facéties théâtrales, sans consulter ni le prince son frère, ni moi, et ce qui vous étonnera, c’est que je n’ai pas vu une page de son édition.
Je supose que Mlle d’Odet est auprès de Made de Strogonof; en ce cas, elle est avec la personne la plus riche de la Russie. Si c’est Made Stagarof, comme vous l’écrivez, je ne la connais pas. Tout ce que je sais c’est que je suis au désespoir d’avoir été inutile à Mlle d’Odet.
J’ai encor un petit mot à dire pour Monsieur le Marquis de Montaynard. J’ai retrouvé le mémoire qu’il avait la bonté de me demander, et je le lui ai envoié accompagné d’un autre que j’ai présenté hardiment à tous les juges. Dans ce nouveau mémoire j’ai l’insolence de proposer de faire une loi générale sur la mainmorte et d’abolir cet usage qui jure avec le nom de France, et surtout avec celui de franche Comté. J’ose indiquer un moien de dédomager les seigneurs, en augmentant un peu les redevances, et en rendant les vassaux libres. Je prends même la liberté d’ajouter que ce règlement mettrait le comble à la gloire du ministère. Monsieur le chancelier a poussé la bonté jusqu’à m’écrire à ce sujet. J’espère beaucoup; je mourrai heureux si je puis avoir contribué à briser les fers de plus de deux cent mille sujets du Roi. C’est un de mes rêves.
Je viens à présent à l’article des montres. Mr Le Gendre de Versailles, comme je vous l’ai mandé, doit vous en remettre une, ou à Madame d’Argental. Mr Le Baron Duben, seigneur suédois, en a trois autres qu’il doit remettre à Madame D’Argental ou à vous. Il n’en reste plus qu’une qu’on ne tardera pas à vous envoier. Je ne savais pas que de ces cinq montres il y en eût une nommément pour Mr de Thibouville; je croiais que c’était une commission qu’il donnait pour une autre personne.
Il ne me reste qu’à vous parler de l’abbé mon historien. Je lui ai écrit, je l’ai invité à venir chez moi, j’ignore s’il a reçu ma Lettre.
Voilà tous les articles traittés sommairement. Celui de la santé de madame D’Argental est le plus intéressant. Made Denis et moi nous nous mettons tout deux à l’ombre des ailes de nos anges.
Ne nous oubliez pas auprès de vôtre ami.
V.