1771-03-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je vous renvoie, mon cher ange, le cinquième service du souper d'Atrée, car il faut bien vous renvoier quelque chose, et il m'est impossible de rien faire du manuscrit que j'ai reçu de Mr de Thibouville concernant Mr Lantin.
Je suis absolument aveugle; et quand j'aurais les meilleurs yeux du monde je n'aurais pas pu déchifrer son horrible grifonage; mais quand il se serait servi d'un secrétaire du ministre je n'y aurais rien compris. Je m'en suis fait lire quelques lignes. La première commence ainsi, vous sçavez Scipion si vous m'avez aimée.

Au diable si jamais Scipion a aimé cette drôlesse, et quand il l'aurait aimée il ne fallait pas assurément qu'elle lui fit de telles agaceries. Ce vers n'est pas de moi. Il y en a aussi quelques autres qui n'en sont pas. En un mot je n'y entends rien. Je sais bien que je ne suis pas dans ma patrie, et que je mourrai dans une terre étrangère; mais il ne faut pas qu'on dénature ainsi mon bien de mon vivant.

Si vous avez quelque goût pour la besogne de Mr Lantin, il faudrait lui envoier l'éxemplaire que Le Kain a reçu en dernier lieu, sans quoi il ne poura plus savoir où il en est, s'étant malheureusement désaisi du seul éxemplaire corrigé qui lui restât. Mais les Pélopides sont à mon gré un ouvrage bien autrement important. Il serait fort aisé de le faire représenter aux noces de Madame la Comtesse de Provence. La mort de ma nièce de Florian m'obligerait alors de faire un voiage à Paris, et le délabrement de mes affaires serait un nouveau motif; mais vous savez que mon cœur en aurait un autre bien plus pressant. Vous savez qu'il y a vingt deux ans que je n'ai eu la consolation de vous voir. Je ne doute pas que vous n'aiez quelque scribe sous la main qui puisse transcrire les Pélopides.

V.