26e 8bre 1772
Je demande pardon à mon cher ange de l'importuner d'un petit scrupule qui est venu à nôtre jeune avocat.
Mr De Thibouville lui a mandé, j'ai porté sur la dernière copie aprouvée par Marin, tous les changements de la dernière copie présentée à Mr De Sartines, et aprouvée par lui.
Le scrupule de nôtre avocat consiste à ne pouvoir comprendre que Mr De Thibouville ait fait passer d'une copie à l'autre des actes entièrement bouleversés, comme s'il ne s'agissait que de trois ou quatre lignes d'écriture.
Vous avez dû vous apercevoir mon cher ange que le 1er acte est entièrement altéré, de façon qu'il faut le recopier tout entier. Ce qui était la dernière scène de cet acte est devenu la première, et ce changement en a encor éxigé d'autres. Ce bouleversement a paru nécessaire pour une raison que je trouve bien forte.
La première scène était d'un apareil pompeux, et d'un intérêt aussi pressant que tragique. La dernière était tout entière en raisonnements. C'était servir le rôti avant le potage.
On a donc dans cette dernière leçon que je vous ai envoiée par Le Kain, remis les choses dans l'ordre où elles doivent être. Vous avez paru aprouver ce nouvel ordre, et moi j'y tiens fortement. Il me semble que le tout compose actuellement un édifice, dont toutes les parties sont tellement liées, qu'il est impossible de les déranger sans défigurer toute l'architecture.
Il se pourait que Mr de Thibouville n'eût pas éxaminé ce premier acte, qu'il eût cru que les changements n'étaient que dans les quatre autres, et en petite quantité, et qu'en conséquence il n'eût fait porter sur sa première copie que quelques vers de la vôtre.
Je vous écris donc pour vous dire que je m'en tiens absolument à cette dernière copie à vous envoiée. Je vous prie très instamment que ce soit la seule à laquelle on ait égard, sans quoi je courrais grand risque de perdre mon procez. Je crains qu'on n'ait préféré l'ancien premier acte au nouveau. Celà serait désespérant. Je vous demande en grâce de me rassurer.
Ne pensez vous pas qu'il sera convenable d'attendre le retour de Fontainebleau pour représenter nos Loix de Minos? On parle d'une pièce nouvelle intitulée Adeline. Je laisserai passer cette Adeline très volontiers. J'étais très pressé l'année passée. Je le suis un peu moins à présent. Je sens cependant qu'il ne faut pas laisser trop refroidir l'entousiasme où l'on est de la révolution de Suede. Si les loix de la Pologne ont quelque raport au 2d acte l'avanture de la Suede fait le cinquième prèsque tout entier; il n'y manque que de donner le nom de Baron de Rudbek à Mérione.
Je finis comme je finis toujours, en remettant tout entre vos mains, et en me recommandant à vôtre providence.
V.