13e 9bre 1772
Mon cher et grand philosophe, mon véritable ami, j’ai reçu par une voie détournée, une Lettre que je n’ai pas cru d’abord être de vous, parce que voicy la saison où je perds la vue selon mon usage.
Je ne savais pas d’ailleurs que vous fussiez l’ami de Madame De Geoffrin. Je vous en félicite tout deux. Mais mettez un D d’oresnavant au bas de vos lettres, car il y a quelques écritures qui ressemblent un peu à la vôtre, et qui pouraient me tromper. Il est vrai que personne ne vous ressemble, mais n’importe, mettez toujours un D.
Pour vous satisfaire sur vôtre Lettre vous et Made De Geoffrin, il faut d’abord vous dire que je brochai il y a un an les loix de Minos, que vous verrez sifler incessamment. Dans ces loix de Minos le Roi Teucer dit au sénateur Mérione,
C’était le Roi de Pologne qui devait jouer ce rôle de Teucer, et il se trouve que c’est le Roi de Suede qui l’a joué.
Quoi qu’il arrive, je me trouve d’accord avec Madame de Geoffrin dans son attachement pour le Roi de Pologne, et dans son estime pour Mr le comte d’Hessinsten. Mais je l’avertis que Mérione n’est qu’un petit fanatique et qu’il n’a pas la noblesse d’âme de son Suedois. J’admire Gustave trois, et j’aime surtout passionnément sa renonciation solemnelle au pouvoir arbitraire. Je n’estime pas moins la conduite noble et les sentiments de Mr le comte d’Hessinsten. Le Roi de Suede lui a rendu justice, la bonne compagnie de Paris, et les Welches même la lui rendront. Pour moi je commence par la lui rendre très hardiment.
Je vous envoie, mon cher ami, l’épitre à Horace. Cette copie est un peu grifonnée, mais c’est la plus correcte de toutes. Je deviens plus insolent à mesure que j’avance en âge. La canaille dira que je suis un malin vieillard.
André Ganganelli a heureusement assez d’esprit pour ne point croire que la lettre de l’abbé Pinzo soit de moi; un sot pape l’aurait cru et m’aurait excommunié. On ne connait point cet abbé Pinzo à Rome. C’est aparemment quelque avanturier qui aura pris ce nom et qui aura forgé cette avanture pour attraper de l’argent aux philosophes. Il m’a passé quelquefois de pareils croquants par les mains.
Le Roi de Prusse vient de m’envoier un service de porcelaine de Berlin qui est fort au dessus de la porcelaine de Saxe et de Sève. Je crois que Dantzic en paiera la façon.
Adieu, vous verrez un beau tapage le jour des Loix de Minos. Il y a encor des gens qui croient que c’est l’ancien parlement qu’on joue. Il faut laisser dire le monde. Les Frérons et les La Beaumelle auront beau jeu.
Bonsoir, madame Denis vous fait les plus tendres compliments; faites les miens, je vous prie, à Mr le marquis de Condorcet; et surtout, dites à Made De Geoffrin combien je lui suis attaché.