20 xbre 1766
Mon cher confrère, j'avais déjà répondu au reproche de Made De Geoffrin de n'avoir rien dit du billet du Roi de Pologne.
Je lui ai mandé que le stile de ce monarque ne m'étonnait point du tout. Je connais trois têtes couronnées du nord qui feraient honneur à nôtre académie, L'Impératrice de Russie, Le Roi de Pologne et le Roi de Prusse. Voilà trois philosophes sur le trône, et cependant il y a encor peu de philosophie dans leurs climats. Elle y pénêtre pourtant. L'Impératrice de Russie dit que ce n'est qu'une aurore boréale, et moi je pense que cette nouvelle lumière sera permanente. On se plaint qu'il y en a trop en France. Je ne vois pas quel mal peut jamais faire la raison. On n'a jamais, jusqu'à présent éssaié d'elle. Il faut du moins faire cette tentative, et on verra si elle est si nuisible. Non, mon cher confrère, la raison n'est pas si méchante qu'on le dit; ce sont ses ennemis qui sont méchants.
J'aurai donc Bélisaire pour mes étrennes. C'est là où je trouverai la philosophie qui me plaît, c'est là que tout le monde trouvera à s'amuser et à s'instruire. Je vous souhaitte d'avance une bonne année. Présentez mes hommages et ma reconnaissance à Made De Geoffrin. Ce qu'elle a fait pour les Sirven est digne d'une souveraine. Je ne la connais que par de belles actions. Elle fut la première à souscrire en faveur de Madlle Corneille dont le père lui avait fait un procez si impertinent. Elle ne s'en vengea que par des bienfaits. Envérité, voilà de ces choses qu'il faut que la postérité sache. Mettez moi bien à ses pieds.
Quand aurons nous donc le discours de Mr Thomas? On dit qu'il lira un premier chant de La Petreiade qui est admirable. L'année 1767 ne commencera pas mal pour la Littérature. Soiez en le soutien avec Mr Thomas. J'aplaudis de loin a vos succès qui me sont bien chers, et qui me consolent.
Made Denis vous fait les plus sincères compliments.
NB. Ce n'est point L'abbé Coyer qui a fait la Lettre au docteur Pansophe, c'est mr De Bordes, académicien de Lyon, qui s'était déjà moqué plus d'une fois du charlatan de Genêve. Je vous assure qu'il est bien loin d'oser remontrer sa petite figure dans sa patrie, il courrait risque d'y être pendu; mais vous savez qu'il en serait fort aise si son nom était dans la gazette.
Adieu mon cher confrère.