à Ferney 2e 9bre 1771
Madame,
J'aime toujours mieux prendre la liberté d'écrire à mon héroïne qu'à Moustapha qui n'est point du tout mon héros.
J'aurais, à la vérité, beaucoup de plaisir à lui rire au nez sur la belle reprise de Giorgova, et sur la défaitte totale de ce terrible Oginsky. J'ai bien peur qu'on n'ait trouvé quelques uns de nos welche parmi leurs prisoniers. Que diable allaient-ils faire dans cette galère?
Aparemment que Vôtre Majesté Impériale avait donné le mot à mon cher Ali-bey pour qu'il reprit Damas et la sainte Jérusalem pendant que Vôtre Majesté reprendrait Giorgova. Si cette avanture de Damas est vrai je n'ai plus d'inquiétude que pour le serrail de mon cher Moustapha. On me flatte que Monsieur le Comte Alexis Orlof est maître du Negrepont. Celà me donne des espérances pour Athêne à laquelle je suis toujours attaché en faveur de Sophocle, d'Euripide, de Ménandre, et du vieil Anacréon mon confrère, quoique les athéniens soient devenus les plus pauvres poltrons du Continent. Mais d'où vient que Raguse, l'ancienne Epidaure (à ce qu'on dit) laquelle appartint si longtems à l'Empire d'orient, c'est à dire au vôtre, se met elle sous la protection de l'Empire d'occident? Y a t-il donc à présent d'autre protection que celle de mon héroïne? Que font les savii grandi de Venise? Pourquoi ne reprennent-ils pas le roiaume de Minos pen dantque les braves Orlof prennent le roiaume de Philoctete? C'est qu'il n'y a actuellement rien de grand dans l'Europe que mon auguste Catherine seconde à qui j'ai voué mes derniers soupirs.
J'étais bien malade: la nouvelle de Giorgova m'a ressuscité pour quelque tems, et je respire encor avec le plus profond respect et la plus vive reconnaissance pour Vôtre Majesté Impériale.
Le vieux malade de Ferney