1771-07-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Denis Pierre Jean Papillon, duc de La Ferté.

Je ne sais, Monsieur, où vous êtes à présent, si c’est à Paris, à Laferté, ou à Bruxelles; mais ma Lettre vous trouvera, et les sentiments de mon cœur vous chercheraient par tout.

Il y a longtems que je ne vous ai écrit; j’ai respecté vos occupations qui doivent être assez grandes, et les affaires publiques qui intéressent tous les citoiens. Vous avez d’ailleurs une nombreuse famille qui éxige tous vos soins et qui fait vôtre consolation. Vos belles terres demandent une attention continuelle. Ainsi heureusement pour vous toutes vos occupations sont de vrais plaisirs.

Les miennes ne sont pas de cette nature; je crains beaucoup à présent pour la colonie que j’ai établie. Les dépenses qu’elle m’a coûtées étaient trop au dessus d’un particulier aussi obscur et aussi médiocre que moi. J’ignore si on paiera du moins les derniers six mois des rentes enrégistrées au parlement, que vous eûtes la bonté de me procurer en dédommagement de l’argent comptant que j’avais mis en dépôt chez Mr de La Balue, et dont le ministère a été obligé de s’emparer par le malheur des tems.

J’ignore si l’on est en état de satisfaire à des engagements si sacrés et qui intéressent la fortune de tant de particuliers. Je ne suis au fait de rien. L’amitié que vous m’avez toujours témoignée m’autorise à m’adresser à vous.

Cinquante familles que j’ai recueillies, et pour lesquelles j’ai bâti des maisons, augmentent mes inquiétudes, mais je suis plus pénétré de ma reconnaissance pour vous, qu’accablé du poids de ma situation présente.

Je vous souhaitte, Monsieur, toute la prospérité que vous méritez, et je me résigne aux malheurs que j’éprouve. Si vous me conseillez d’écrire à Mr Duclos je lui écrirai. Si vous jugiez qu’on pût obtenir quelques paiement de la part de ceux que le ministère a chargé de ce département, je m’adresserais à eux; mais je dois d’abord vous consulter, et surtout vous réitérer les sentiments d’attachement et de reconnaissance avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire