1771-02-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Claude Palteau de Veymerange.

Le vieux malade goutteux, aveugle, n’en pouvant plus, remercie bien tendrement Monsieur de Veimerange de ses bontés et de ses nouvelles.
Il tient encor au monde, il tient encor au monde par les bontés que vous avez pour lui. Il est très affligé des brigandages dont il a été témoin dans le païs barbare qu’il habite. Il est fâché d’avoir vu tout le bled du païs vendu impunément à l’étranger par un genevois. Il est fâché que le froment coûte encor près de vingt écus le septier mesure de Paris. Il voit avec douleur sa colonie véxée et dégoûtée. Il a levé les épaules quand la cohue des enquêtes s’est mise à contrarier le roi, et à vouloir entacher les gens, il a ri, mais il ne rit point quand on manque de pain. C’est là l’essentiel, et le pâter noster commence par là, ce qui est à mon avis fort sensé.

Je m’intéresse fort à vos yeux, Monsieur, je suis d’ailleurs du métier, une fluxion épouvantable m’a rendu aveugle.

Je vous remercie encor une fois de tout ce que vous avez bien voulu m’aprendre.

On me mande de Lyon que M. le chancelier a déjà nommé onze conseillers du Conseil suprême qu’il veut établir à Lyon. Si la chose est vraie, c’est un des plus grands services qu’il puisse rendre à l’état, et il sera béni à jamais. N’était-il pas horrible d’être obligé de s’aller ruiner en dernier ressort à cent lieues de chez soi, devant un tribunal qui n’entend rien au commerce, et qui ne sait pas comment on file la soie? M. le chancelier parait un homme d’esprit très éclairé et très ferme; s’il persiste il se couvrira de gloire; s’il mollit, il aura toujours des ennemis à combattre.

Délivrez nous du genevois Cambassadez qui àprésent au lieu de vendre nôtre bled à l’étranger vend nôtre pain tout cuit.

Made Denis vous fait les plus sincères compliments. Je suis entièrement à vos ordres.

le vieux malade du mont Jura, et le plus inutile des hommes V.