1771-01-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange le jeune étourdi qui vous a envoié l’œuvre des onze jours vous demande en grâce de les lui rendre.
Il m’a dit qu’il était honteux, mais qu’il fallait pardonner aux emportements de la jeunesse, qu’il voulait absolument y mettre vingt deux jours aumoins.

A propos de jours je vous en souhaitte à tout deux de fort agréables; mais on dit que celà est difficile par le tems qui court. Vous ne perdez rien, et je perds tout. Voilà ma colonie anéantie; je fondais Carthage; et trois mots ont détruit Carthage.

Est-il vrai que M: le Cardinal de Bernis a la place des affaires étrangères, Mr Le Duc d’Aiguillon la marine, et Mr De Mui la guerre? Mr Le Duc de La Vrilliere la surintendance des postes? Je ne sais rien, et je suis très curieux.

Je n’ai pas une passion bien violente pour la Sophonisbe de Lantin, mais je serais fort aise qu’on rejouât Olimpie. C’est un beau spectacle. Mlle Clairon avait grand tort, et on dit que mlle Vestris s’en tirerait à merveille. Vous devriez bien présenter requête à Lekain pour jouer Cassandre. Ce serait même une fête à donner à la cour en guise de feu d’artifice. Chargez vous, je vous prie, de cette importante négociation, et moi je me chargerai de faire la paix de Catherine et de Moustapha.

On me mande que Mr le Mal de Richelieu est fort malade. Il devrait pourtant se bien porter.

J’écris à Mr Le Duc de Praslin. Voilà qui est fait; il n’enverra plus de mes montres au prétendu Roi d’Egypte; mais il lui reste Praslin, c’est une belle et bonne consolation, non pas en hiver; mais dans les grandes chaleurs. Le lieu est froid, sombre et d’une beauté assez triste. Vous y attendiez vous? Dites moi enfin si Messieurs obtempèrent, et se tempèrent.

On fait vos montres. Madame d’Argental sera plutôt servie que le roi d’Egypte.

Mille et mille tendres respects.

V. . .