1770-12-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Michel Hennin.

Quoique vous ne me disiez rien, Monsieur, vous savez pourtant que le parlement a cessé ses fonctions sans donner sa démission; qu’il a protesté contre l’édit; qu’il a envoié deux fois le premier président au Roi; que le roi n’a point voulu le voir.
De tout celà vous ne nous en dites mot.

Mais nous vous demandons Made et moi vos bons offices pour une chose qui nous intéresse très vivement, et qui ne demande pas même de délais.

C’est de savoir s’il est vrai que la République ait affranchi Made Denis de la qualité éminente de serve de Genêve. Nous avons à Gex un procez contre un seigneur citoien de Genêve nommé non pas Choudens, mais DE Choudens, ouvrier en montres qui nous vendit il y a dix ans un petit domaine sur le chemin de Ferney à Tourney. Il le déclara libre, et quand nous eûmes signé il se trouva qu’il était mortaillable en grande partie. Made Denis fut donc serve de la sérénissime.

Aujourd’hui mr DE Choudens, seigneur ouvrier de Genêve, prétend pour se disculper, et affirme dans ses mémoires, que la sérénissime a daigné nous affranchir de la servitude. Nous n’avons jamais entendu parler de cet affranchissement. Nous savons seulement que Mr De Choudens s’étant accommodé avec la République pour cinq cent francs, nous paiâmes pour lui à Mr le grand Trésorier 500£ à la décharge du dit Choudens.

Ce que nous vous demandons, Monsieur, c’est de savoir du grand Trésorier actuellement régnant s’il est vrai que la sérénissime ait affranchi depuis la Dame Denis, qui ait fait une alliée de la république aulieu d’une servante. Nous croions qu’il n’en est pas un mot, et nous vous suplions très vivement de vouloir bien requérir une attestation de Mr le grand Trésorier, par laquelle il soit constaté que nous avons paié entre ses main, en tel jour, en telle année, la somme de 500£ pour la servitude dudit Choudens, et qu’il n’a jamais été question d’un affranchissement.

Celà est très sérieux, quoi que très ridicule. Nous vous prions de vouloir bien envoier ce soir chez Souchay au Lyon d’or vôtre paquet que nous enverrons chercher demain; nous vous aurons la plus grande obligation, et viva.

V.