1770-11-12, de Frederick William II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous admire, monsieur, depuis que je vous lis; mais je ne songeais pas à vous le dire: vous êtes trop accoutumé à ce sentiment de la part de vos lecteurs.
Je ne puis néanmoins résister à l’envie que j’ai de vous remercier de votre dernière brochure; j’ai vu, avec un extrême plaisir, que la même plume qui travaille, depuis si longtemps à frapper la superstition, et à ramener la tolérance, s’occupe aussi à renverser le funeste principe du Systême de la nature.

Personne n’est plus capable que vous, monsieur, de réfuter ce malheureux livre avec succès, de démêler le faux et le monstrueux, d’avec les excellents choses qu’il renferme; et de montrer combien l’idée d’un dieu intelligent et bon, est nécessaire au bien général de la société, et au bonheur particulier de l’homme. Vous l’avez déjà dit dans plusieurs de vos écrits, mais vous ne le direz jamais trop.

Puisque je me suis permis le plaisir de m’entretenir avec vous, souffrez, monsieur, que je vous demande, pour ma seule instruction, si en avançant en âge vous ne trouvez rien à changer à vos idées sur la nature de l’âme. Vos derniers ouvrages ont encore tout le feu, la force et la beauté de la Henriade. Votre corps a-t-il donc conservé aussi la vigueur qu’il avait lors du poème de la Ligue? Je n’aime pas à me perdre dans des raisonnements de métaphysique; mais je voudrais ne pas mourir tout entier, et qu’un génie tel que le vôtre ne fût pas anéanti.

Je regrette souvent, monsieur, en vous lisant, de n’avoir pas été en âge de profiter des charmes de votre conversation, dans le temps que vous étiez ici. Je n’ignore pas combien le feu prince de Prusse, mon père, vous estimait; je vous prie de croire que j’ai hérité de ses sentiments. J’embrasserai avec plaisir les occasions de vous en donner des preuves et de vous convaincre combien sincèrement je suis,

monsieur,

votre très affectionné ami,
Federic Guillaume, prince de Prusse