1770-11-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Mathieu Henry Marchant de La Houlière.

Immédiatement après avoir envoyé ma lettre à la poste, je reçois, mon cher neveu, votre paquet du 4 novembre.
Il faut que l'excès de votre reconnaissance pour m. le duc de Choiseul vous ait rendu bien disert. Vous faites vraiment une belle prosopopée du roi au ministre. Permettez moi de vous dire qu'on n'écrit pas sur ce ton. A grand seigneur, peu de paroles, et surtout point de main potelée et bienfaisante. Ces familiarités ne sont permises que quand le ministre les a longtemps autorisées par un commerce suivi. Il ne faut d'inférieur à supérieur que cinq ou six lignes qui ne disent ni trop ni trop peu. Otez la main potelée. Arrêtez vous à ces mots: il ne vous dira jamais non, et surtout gardez vous bien de lui faire envisager qu'il peut un jour demander sa retraite. Parlez encore moins de finances. Il faut que vous soyez bien mal informé de ce qui se passe à la cour.

Je ne saurais trop vous dire combien votre lettre aurait fait un mauvais effet. Vous avez été bien inspiré quand vous me l'avez envoyée. Je vous le répète, parlez, en six lignes, de la reconnaissance de l'oncle et du neveu et de votre désir de servir toujours le roi. Tout le reste serait superflu et tout ce que vous avez écrit serait très dangereux.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.