23e juillet 1770, à Ferney
Madame,
C'est à vous que je dois tout, c'est vous qui avez honoré la fin de ma vie, e qui m'avez consolé de toutes les tribulations attachées à la littérature que j'ai éprouvées pendant environ cinquante ans.
Mon cœur est plein, et mon seul chagrin est de ne venir pas vous l'ouvrir. Je dois aumoins vous consacrer le peu de jours qui me restent et sur lesquels vous avez répandu des faveurs que je ne méritais pas.
Je suis bien fâché que vous n'aiez pas acheté une terre dans nos cantons. Vous ne saviez pas alors ce qui était réservé au petit païs de Gex; il va devenir, grâce à M: Le Duc De Choiseul, un des plus florissant de l'Europe, et toutes les terres y doubleront de prix dans très peu d'années. Mais la fortune arrange toutes choses de façon que les hommes n'y entendent rien, et ne peuvent rien prévoir.
Mr Dupuits mon gendre a cru devoir prendre la liberté de s'adresser à Monsieur Neker pour un petit arrangement, attendu que Monsieur Neker est aussi bienfaisant que vous. Il me permettra de joindre icy ma reconnaissance de la peine qu'il voudra bien prendre pour celui qui a ranimé le sang de Corneille.
Pour vous, Madame, je vous en dois bien d'avantage. Soiez bien sûre que mon cœur s'acquite de sa dette, et qu'il vous apartiendra tant qu'il battra dans la très sèche poitrine de Vôtre très humble et très obéissant serviteur
Le vieux de la montagne