à Ferney 24 février 1770
Madame,
Tout l'ordre des capucins n'a pas assez de bénédictions pour vous.
Je n'osais ni espérer, ni demander ce que vous avez daigné faire pour ce pauvre canonnier Fabri. Nous avons bien des saintes en paradis, mais il n'y en a pas une qui soit aussi bienfaisante que vous l'êtes. Je suis à vos pieds, non pas à ces pieds de quatorze pouces dont vous m'avez envoyé les souliers, mais à ces pieds de quatre pouces et demi, tout au plus, qui portent un corps aussi aimable dit on que votre âme.
La dernière lettre que j'eus l'honneur de vous écrire était au sujet du brigandage de Geneve, et des meurtres qui se sont commis dans cette abominable ville. On ne tue plus à présent, mais on pille. Monseigr le duc de Choiseul mon bienfaiteur, est instruit par mr le résident Hennin de toutes les horreurs qui s'y passent.
J'achève mes jours dans un bien triste voisinage. J'ai de quoi fournir à notre patriarche st François plus d'un million de femmes de neige, c'est ainsi qu'il les aimait tant il avait de feu, mais pour moi pauvre moine, trente lieues de neige dont je suis entouré, et des assassinats à ma porte, ne sont pas une perspective agréable. Vos extrêmes bontés, madame, font ma consolation.
Je ne crois pas que ce soit en abuser que de vous présenter les respects et la reconnaissance de mon gendre Dupuits, et d'oser même vous supplier de daigner le recommander en général à mr de Bourçet. Mon gendre est votre ouvrage, c'est vous madame qui l'avez placé, il ne s'est pas assurément rendu indigne de votre protection; il sert bien, il est actif, sage, intelligent et de la meilleure volonté du monde. M. de Bourcet en paraît fort content. Mon gendre ne demande qu'un mot de votre bouche qui témoigne que vous l'êtes aussi. Toute ma famille ainsi que notre couvent se regardent comme vos créatures.
Agréez madame, notre attachement respectueux et inviolable; j'y ajoute mes ferventes prières et ma bénédiction.
Frère François, capucin indigne
P. S. Dans le moment, madame, les circonstances présentes exigent que je prenne la liberté d'écrire a monseigneur le duc de Choiseul cette lettre que je mets sous votre protection.