Monsieur,
Je serai très aise de vous avoir pour voisin.
Je suis peu flatté à mon âge d'être seigneur de Tournay ad vitam. Les petits arrangements qu'on pourait prendre avec vous et avec Mr Le Président de Brosses ne seront pas bien difficiles. Je ne demandais à Mr le Président de Brosses qu'une sûreté qu'il n'inquiéterait point après ma mort mon fermier à qui les bestiaux et les ustenciles apartiennent.
J'ai fait beaucoup trop de dépenses à cette maison que je n'ai jamais habitée. Je l'ai achetée fort cher et je n'en ai prèsque rien retiré. Mais j'ai fait de plus grandes pertes, et je sais me consoler. Je suis persuadé qui si vous achetez cette terre, vous ne refuserez pas le petit dédomagement qui m'est dû, et que vous proposez vous même. Je pense que vous êtes en éffet le seul genevois à qui cette terre convienne; et je doute qu'aucun autre voulût l'acquérir. Vous y avez des domaines en franc-aleu, et vous seul êtes assez riche pour acheter une terre qui ne vous raportera rien tant que je vivrai. Or je vous avertis, Monsieur, que je compte vivre jusqu'à quatre vingt deux ans aumoins, attendu que mon grand-père qui était aussi sec que moi, et qui ne fesait ni vers, ni prose, en a vécu quatre vingt trois.
Aiez la bonté de prendre vos mesures là dessus. Soiez sûr que je vous donnerai toutes les facilités possibles pour cette acquisition. Je suis à vos ordres, et j'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois
Monsieur
Vôtre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
11e Janv. 1769 à Ferney