16e Juillet 1770
Mon très cher philosophe, je vous prie de me dire ce que vous pensez du Sistême de la nature.
Il me parait qu'il y a des choses excellentes, une raison forte et de l'éloquence mâle, et que parconséquent il fera un mal affreux à la philosophie. Il m'a paru qu'il y avait des longueurs, des répétitions, et quelques inconséquences; mais il y a trop de bon pour qu'on n'éclate pas contre ce livre avec fureur. Si on garde le silence, ce sera une preuve du prodigieux progrès que la tolérance fait tous les jours. On s'arrache ce livre dans toute l'Europe.
Je persiste dans la prière que je vous ai faitte de faire rendre à Jean Jaques sa mise. C'est l'avis de Mr De st Lambert. Je ne peux voir cet homme dans la liste à côté de vous et de Mr le Duc de Choiseul. Mais je vous recommande toujours Federic; non pas parce qu'il est Roi, mais parce qu'il m'a fait du mal, et qu'il me doit une réparation.
Je vous prie instamment, mon cher ami, de me mander si vous lui avez écrit.
J'ai apris avec plaisir qu'on ne jouerait point cette infâme pièce intitulée Le Satirique. Ceux qui l'ont protégée doivent rougir.
Si vous voiez Mr l'archevêque de Toulouse dites lui je vous en prie qu'on lui demandera sa protection pour les Sirven. Ces Sirven plaident hardiment pour avoir des dépends, dommages et intérêts qu'on leur doit. La jeunesse du parlement est pour nous, mais nous avons contre nous un procureur général qui dans ses conclusions sur le procez des Calas requit qu'on pendit et qu'on brulât made Calas. Cette bonne et vertueuse mère me vint voir ces jours passés. Je pleurai comme un enfant.
Portez vous bien, vivez pour enseigner les sages et pour réprimer les fous.
Encor un petit mot. Je ne saurais m'accoutumer à voir un Fréron protégé. Je pense qu'il est aussi important pour tous les gens de Lettres de faire connaître ce lâche scélérat, qu'il l'était à tous les pères de famille de faire arrêter Cartouche. Thiriot ne sera pas assez lâche pour nier qu'il m'ait envoié l'original des anecdotes qu'on a imprimées. Pour peu que Laharpe, ou quelque autre se donne la peine d'interroger ceux qui sont nommés dans ces anecdotes, on découvrira aisément la vérité; le monstre sera reconnu; et je me charge moi, de faire instruire tous ceux dont il a surpris la protection. Je trouve qu'il y aurait une faiblesse inéxcusable à laisser jouïr en paix ce monstre du fruit de ses crimes. Conférez en, je vous en prie, avec mr de Marmontel. Quand on a des armes pour tuer une bête puante, il ne faut pas les laisser rouiller.
Cependant, portez vous bien, vous dis-je.