Au château de Fernex, 12 février 1770
Monsieur,
En vous proposant un acte de bienfaisance, je crois vous faire ma cour, & vous rendre hommage.
Il y a un mois & plus que M. de Voltaire me chargea de lui trouver un Plutarque grec & latin, pour être traduit en français tout entier par l'abbé Adam. Je n'en trouvai ni à Genève ni à Lyon. J'écrivis à Mr Iselin, sécrétaire perpétuel de la République de Bâle homme de Lettres, & d'un vrai mérite. Il m'a trouvé un très beau Plutarque de l'édition d'Henri Etienne de 1572. Le prix seul en a dégoûté le seigneur de Fernex; il ne veut pas en donner trois Louis d'or & demi. L'abbé Adam est bien fâché de ne pouvoir pas faire cette acquisition, que son travail de traducteur lui rendrait lucrative. Je me trouve sans argent, pour avoir donné une dot à mon ancienne ménagère ou gouvernante qui trouve un bon parti. J'ai à cœur de me conserver l'estime du sieur Iselin, à qui une autre fois je n'oserais plus m'adresser pour pareille emplette, s'il me croyait peu stable dans mes désirs littéraires.
Rien ne vous oblige, Monsieur, d'avoir égard à mon embaras, ni à la perte que ferait l'abbé Adam. La témérité est quelque fois plus heureuse qu'elle ne le mérite. Si la mienne vous déplaît, daignés en perdre le souvenir; si elle trouve grâce devant vous, permettés que je fasse porter à votre hôtel l'auteur grec, dont vous pourrés faire prèsent à Mr de V. . . . comme ayant appris par ricochets qu'il lui manquait un Plutarque; le tout sans me compromettre avec votre illustre ami qui m'honore de ses bontés journalières & paternelles. L'abbé Adam ignore, & je n'en ferai part à personne, la démarche que j'ose faire en sa faveur. Je vous supplie très humblement, Monsieur, de me garder le secret; c'est une grâce due à qui la demande, selon un vieux adage espagnol. Le Plutarque est en route.
Je suis avec respect,
Monsieur,
Votre très humble & très obéïssant serviteur
Du Rey