30e auguste 1769
Je réponds à vôtre Lettre du 23 auguste, et je vous remercie d'auguste, car aoust est d'un Welche abominable.
J'ai répondu éxactement, ma chère amie, à toutes les autres, et j'ai entré dans les plus grands détails. Voicy ma situations présente.
Je suis très malade; il y a quatre mois que je n'ai mis un habit. J'ai bien des raisons de fuir le commerce des hommes, mais la solitude avec des maladies continuelles, composent un état qui ne laisse envisager qu'une mort prochaine.
Je vous ai toujours mandé que je redoutais l'hiver pour vous et pour moi dans le païs où je suis; que je redoutais encor plus l'ennui que vous éprouveriez. Je n'ai jamais eu que vôtre bonheur en vue, et je penserai toujours de même.
Il me serait impossible d'aller actuellement à Paris mettre ordre à mes affaires; ma santé est trop déplorable, et d'ailleurs il faut que je règle tout avec les gens de Montbelliard; j'attends sur cela mr Christin.
Je suis actuellement dans de si cruelles souffrances malgré tout mon régime, que je ne vous réponds pas de vous écrire avec beaucoup d'ordre.
Je n'augure rien de bon de la réponse de mr De Vim. Cette affaire est si peu de chose pour lui qu'il pouvait la conclure sur le champ quand ce n'eût été que par considération pour mon âge; et puisqu'il demande du tems pour une bagatelle qu'il eût dû faire en moins d'une seconde j'ai droit de conclure qu'il n'en fera rien du tout.
En ce cas, ce sera un malheur de plus pour moi; mais je ne suis pas moins touché de l'amitié et du zèle que vous avez mis dans cette entreprise; vous m'en seriez plus chère si ma tendresse pour vous pouvait augmenter.
Vous me parler de la lettre de mr Desfranches, vous verrez encor une fois, par mes précédentes, que j'ai répondu à tous les articles. Vraiment ce mr Conti se moque bien du monde de me proposer de traduire un chant du Tasse pour lui procurer le débit d'un livre qu'il n'aura point fait. Cet homme ne sait pas aparemment que j'ai soixante et seize ans, que je suis malade, et que j'ai plus d'une affaire. Je n'ai ni le tems ni la force seulement de lui répondre. Je vous prie de le lui dire si vous le voiez. Le Tasse devint fou, mais cet homme ne le deviendra pas.
Je vais écrire à mr de La Sourdiere pour la Scythie. J'ai bien peur que ce mr De La Sourdiere ne gâte par ses plaisanteries l'affaire que vous avez entamée avec made de Le Long; il est tout propre à celà; il y a quarante ans que je connais mon homme.
Vous me faittes beaucoup trop d'honneur en pensant que je vis avec les deux personnes qui sont chez moi. Je garde le prêtre parce qu'il y a cinq ans que je l'ai. Je n'ai pris l'autre pour quelque tems que parce que j'ai eu compassion de ses malheurs inouïs. Je l'ai tiré d'un état fort triste qui lui aurait fait perdre le peu qu'il lui reste. La Dame qui le vit à Neufchatel ne le vit qu'abruti par le malheur. Il est vrai qu'il fait de très mauvais vers, comme bien d'autres; mais c'est un vieil enfant très bon, très serviable et très infortuné. Nous verrons quel parti il poura prendre. Pour moi je ne sais encor quel sera le mien; il faut que j'aie un peu de santé, ou que je songe à mourir. Mais vif ou mort, vous verrez que je vous ai toujours aimé.
Je vous prie, ma chère amie, de donner cette Lettre à vôtre gros magistrat.
En voicy encor une autre pour la Dame Duchêne.