à Geneve le 22 août 1769
Mad.,
Je voulois avoir l'hr de vous écrire que quand j'aurois à vous annoncer quelque changement dans les dispositions du Patron.
Il m'avoit mis plusieurs fois dans une attente assez favorable à cet égard, mais je n'ai malheureusement pas apperçu que sa résolution fût absolument telle que je le désirois. Il est très vrai qu'il a des momens de vuide, qu'il sent la différence de votre société à celle à laquelle il se réduit, mais un autre motif le retient. Sa fureur d'imprimer qui continüe toujours, qui augmente même ne lui laisse pas envisager sans peine d'avoir auprèz de lui quelqu'un qui soit en droit de lui en représenter les dangers. Croyez mad. que c'est à cette passion que vous êtes sacrifiée.
Il a eû de bons momens et c'est dans un de ces moments qu'il vous a écrit. A votre place j'aurois accepté purement et simplement, je serois arrivée à Ferney. Tout se seroit arrangé aprez et vous auriez toujours eû la ressource que vous envisagez comme convenable, et certainement vous ne doutez pas du plaisir avec lequel je vous l'aurois offerte.
M'en croirez vous, madame, au premier Jour qu'il vous donnera partez comme il vous plaira et avec le train dont vous avez besoin. Le reste s'arrangera. Si ce que j'ai peine à croire vous n'étiez pas bien reçue ma maison est à vous, et je ne doute nullement qu'aprez deux ou trois jours de bouderie le Patron ne revint à ce que la raison, la convenance, l'amitié qu'il vous doit lui conseilleront. Je l'admire, le respecte et l'honore, mais depuis que j'ay l'hr de vous connoitre, la bontés que vous m'avez témoignée et le cas que je fais de votre caractère et de la bonté de votre esprit sont plus que suffisans pour que je m'expose à la mauvaise humeur de ce cher oncle, bien persuadé d'ailleurs que ce ne seroit qu'une boutade passagère. J'ai beaucoup réfléchi mad. sur votre position, sur ce qui vous plait et peut rendre votre vie heureuse. Paris avec la crainte d'y être mal à l'aise doit vous être odieux. Chez moi vous serez toujours riche. L'habitude d'être entourée de beaucoup de monde vous expose dans ce Pays là à des privations pénibles, icy vous serez sûre d'avoir toujours une compagnie qui vous chérit et dont vous ne pouvez attendre que des agréments. Si vous voulez avoir vôtre ménage il y a de la place, s'il vous convient pour éviter des embarras de mettre votre chapon dans mon pot nous n'en ferons que meilleure chère. Pourquoi pas? Vous connoissez mad. ma franchise. Si cette idée ne me rioit pas, je vous assure que je n'aurais garde de la mettre en avant. En toute circonstance je serai très aise de vivre avec vous, soit que le voisin vous rappelle, soit que vous acceptiez l'espèce de mariage que je vous propose.
A propos de mariage le mien s'en va je ne sais où. J'ai déjà été sur le point d'envoyer vingt fois tout promener. Au fait je n'ai pas besoin de trente mille livres de rente avec de sots parents. Il s'agit d'être heureux, d'écarter les peines de s'entourer de gens qui pensent et rient. Je vous assure madame que notre petit ménage d'amis seroit pas le plus triste du canton. Le Patron finiroit par en être trez satisfait, et quand vous iriez le voir il vous recevroit comme il auroit dû vous garder.
J'ay l'hr d'être &c.