1769-07-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à François de Chennevières.

C'est belle malice à vous, mon cher ami, d'être malade sous les yeux de mr de Sénac, c'est crier famine près d'un tas de blé.
Cependant il faut avouer que quand on serait l'ami intime de toute la famille, on n'en serait pas moins exposé à toutes les infirmités dont la nature a doté la race humaine; j'en sais des nouvelles. J'ai vécu longtemps, mais toujours pour souffrir. Je n'existe aujourd'hui que pour être calomnié. On m'impute je ne sais quelle histoire du Parlt dont les derniers chapitres sont un chef d'œuvre d'erreurs, d'impertinences, et de solécismes. Dieu soit béni! voilà le centième ouvrage qu'on m'attribue depuis trois ans. Quand je dicterais jour et nuit comme Esdras sans fermer la bouche, je n'aurais pu y suffire. Je vous écris à Versailles; je ne vous crois pas à Compiègne attendu qu'on ne tuera personne au camp, et que les hôpitaux militaires n'auront rien à faire.

J'habite un petit pays autrefois très inconnu, où l'on n'était malade que des écrouelles; on y a envoyé des troupes et avec elles la vérole. Je remercie les bureaux de la guerre de cette attention.

Bonsoir, mon cher ami, on dit que vous aurez une très belle salle de spectacle à Versailles et qu'on se prépare déjà pour les fêtes du mariage de mr le dauphin. Vous allez être plongé jusqu'au cou dans les plaisirs.