1769-07-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques de Rochefort d'Ally.

J'ai reçu, monsieur, l'honneur de la vôtre du 25 juin.
Je suis bien persuadé que le médecin Bigot vous guérira un jour de cette maladie que vous appelez la peste. Votre tempérament est excellent, et je souhaite passionnément que le médecin s'affectionne à son malade. J'ai reçu quelquefois des lettres de mme Bigot, qui ne me paraissait point du tout embarrassée.

A propos de médecin, j'avais écrit il y a deux ans à m. de Sénac, sur les bontés de qui j'ai toujours compté. Il s'agissait d'un jeune homme de mes parents, mousquetaire du roi, à qui on avait fait une opération bien douloureuse. M. de Sénac me manda qu'il ne croyait pas qu'il y eût de remède; il ne s'est pas trompé: le jeune homme est mort dans de cruelles douleurs.

Vous voyez donc quelquefois m. le duc de la Vallière? C'est un des plus aimables hommes du monde, et qui ne laisse pas d'être philosophe. Je ne lui écris point du fond de ma solitude, mais je lui suis toujours très tendrement attaché.

Je voudrais bien, monsieur, que vous fussiez chef de brigade dans la compagnie écossaise; celui qui la commande n'est pas fier comme un Ecossais; mais heureux les Français qui lui ressemblent un peu! on n'a point plus d'esprit et de raison. Je ne connais point les lettres Hébraïques; mais, celon ce que vous mandez, il n'y a qu'à faire lire la Bible à l'auteur pour y répondre. L'impotent convulsionnaire a mal pris son temps pour faire opérer sur lui un miracle; la mode en est passée, le pauvre homme est venu trop tard.

Je suis bien fâché que la famille de ce pauvre Morsan soit si impitoyable. Il faut espérer que sa bonne conduite et le temps adouciront ses malheurs et le cœur de ses parents. Je lui ai dit, monsieur, de quelles bontés vous l'avez honoré: il y est sensible comme il le doit: je vous présente ses très humbles remerciements et les miens.

Je viens de lire l'histoire dont vous me faites l'honneur de me parler. Elle est sûrement d'un jeune homme qui quelquefois a été assez modeste pour imiter mon style; on m'a dit que c'est un jeune maître des requêtes; mais je n'en crois rien. Quoi qu'il en soit, ceux qui m'imputent cet ouvrage sont bien injustes. Il est évident que l'auteur a fouillé dans de vieilles archives dont je ne puis avoir la moindre connaissance, étant hors de Paris depuis plus de vingt ans. Ainsi loin de prétendre que l'auteur a dit ce que d'autres avaient rapporté avant lui, il faut avouer au contraire qu'il a avancé des choses que personne n'avait jamais dites; comme, par exemple, les emprunts de Louis XII et de François 1er . Cela ne se peut trouver que dans des registres que je n'ai jamais vus. D'ailleurs je trouve que sur la fin il y a des expressions très peu mesurées. M. de Bruguieres est fort méchant et fort dangereux. Je compte bien que vous aurez la bonté, ainsi que m. d'Alembert, de confondre la calomnie qui a la cruauté de m'imputer un tel ouvrage.

Vous connaissez mon très tendre attachement, qui ne finira qu'avec ma vie.

V.