1769-07-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Le plus vieux et le plus attaché de vos serviteurs ne vous importune Monseigneur que dans les occasions qui fou[r]nissent quelque excuse.
Vous devez être excédé de lettres et de demandes. C'est toujours au doyen de notre académie que j'écris et non au gouverneur, au premier gentilhome de la chambre. Vous souviendriez vous des mémoires de de Maintenon faits par la Baumelle et de quelques autres brochures dans ce goust qui calomnient les plus grandes maisons du Royaume à commencer par la famille Roiale? Vous daignâtes me marquer ce que vous en pensiez. Il paraît dans le pays étranger un livre assez curieux écrit dans ce stile. C'est l'histoire du parlement. Je n'ay rien à dire contre le premier volume. Il fait voir que le parlement tire toutte sa dignité des pairs. J'ay toujours été de cet avis. Il y a d'ailleurs dans ce premier tome des anecdotes dont je ne puis juger. Il faudrait avoir consulté le grèfe. Je doute que La Baumele ait été à portée de fouiller dans ces archives et c'est ce qui me fait suspendre toutte idée sur le nom de l'autheur.

Pour le second tome j'en trouve la fin non seulement fausse, mais excessivement indécente, et je l'ay dit hautement.

L'auteur, quelqu'il soit, s'efforce de faire passer son ouvrage sous mon nom. Je suis acoutumé à ces impostures, mais celle cy m'afflige. Je suis d'un corps dont vous êtes le principal membre, et dont le roy est protecteur. A la bonne heure qu'on impute à ma vieillesse de plats vers, et de la prose languissante. Mais certainement il y a dans ce second tome des expressions impertinentes qui devraient déplaire au Roy s'il n'était pas trop grand pour être seulement instruit de ces sottises. Dans l'indignation où je suis qu'on m'impute un pareil ouvrage, je ne puis que déclarer que l'auteur est très malavisé, qu'il est un impudent et que je réprouve son livre qui est plein d'erreurs.

Qu'il me soit encor permis de dire à mon doyen (dont je suis le doyen par l'âge) qu'on achève actuellement deux nouvelles éditions du siècle de Louis 14 et de Louis 15. Ce sont des monuments de votre gloire. Ils vaudraient mieux si j'avais pu recevoir vos instructions mais tels qu'ils sont pui-je les présenter au Roy? Daignerez vous me dire si je dois prendre cette liberté? Monsieur de St Florentin le croit, mais je ne veux rien faire sans vous consulter. Donnez moy cette marque de vos anciennes bontez. Je suis hontêux de vous ennuier d'une si longue lettre, mais mon héros a toujours été indulgent pour moy. Je me flatte qu'il le sera encor en daignant m'aprendre par un mot ce que je dois faire. J'attends cette grâce de luy, et je luy renouvelle mon très vieux et très tendre respect.

V.