Je vous écrivis il y a cinq ou six jours, ma chère nièce, une très longue lettre de ma languissante main.
J'étais fort triste et les souffrances du corps ne rendent pas l'esprit plus gai. Je disais à la fin de ma dolente lettre que j'avais envoié pour vous un petit paquet à Mr Lefevre. Mais on oublia de mettre l'adresse de la Lettre à Ruel. Il se peut très bien faire que le facteur n'ait trouvé personne à Paris dans vôtre maison, et que la lettre soit demeurée au grand burau de la poste.
Instruisez moi, je vous prie, de vos marches. Etes vous encor à Ruel? y seréz vous longtems? avez vous bien soin de vôtre santé? Il n'y a de bonheur que pour les gens qui digèrent. Etes vous contente de Mr De La Sourdiere? J'ai reçu des Lettres charmantes de made Binet et de madame Catau, et de plusieurs personnes de cette volée; mais à quoi tout celà sert-il? Je ne puis être heureux qu'en finissant ma vie auprès de vous dans quelque fauxbourg de Paris; mais je n'ai pas même assez de santé pour faire le voiage. Nous verrons ce que la destinée décidera de nous. En attendant, j'achêve de bâtir le Chatelar; je persiste dans la résolution de ne voir personne. Je n'excepterai de cette règle que le marquis de Jaucourt qui viendra incessamment.
Made Dupuits arrange son Maconex, elle s'y entend très bien; elle est sur pied à cinq heures du matin. Il n'y a que les travaux de campagne qui rendent la campagne agréable.
Je vous embrasse tristement et tendrement.
V.
23e juin 1769